ELECTION POLITIQUE CITOYEN

HISTOIRE D'UN JOUR - 4 FEVRIER 1945

Yalta : le partage du monde et les germes d'une nouvelle guerre

Le 4 février 1945 s’ouvre la Conférence de Yalta, un moment charnière dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de la réorganisation du monde qui s’ensuivit. L’Europe est alors à genoux, ravagée par des années de conflits meurtriers. Alors que l’Armée rouge progresse en Europe de l’Est et que les forces alliées ont libéré une grande partie de l’Europe occidentale, Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt et Joseph Staline se rencontrent dans cette station balnéaire de Crimée pour discuter des contours du monde à venir.

L’état du monde, en ce début de 1945, impose aux Alliés des choix cruciaux. Les forces allemandes, bien que retranchées et affaiblies, résistent encore sur plusieurs fronts, notamment en Prusse-Orientale et le long du Rhin, où les offensives alliées se heurtent à une défense acharnée. Le Japon, lui, poursuit une guerre d’usure dans le Pacifique, tenant fermement des positions stratégiques comme Iwo Jima et Okinawa, tout en infligeant de lourdes pertes aux forces américaines. Les ressources humaines et matérielles des Alliés sont fortement sollicitées pour mener à bien ces campagnes simultanées. Pourtant, au-delà de la nécessité de coordonner les derniers efforts militaires, c’est la paix future et l’équilibre mondial à venir qui sont au cœur des préoccupations. La Conférence de Yalta est l’une des dernières grandes opportunités pour les trois dirigeants de s’entendre sur des décisions stratégiques majeures. Le partage de l’Europe, l’organisation des institutions internationales et les mécanismes destinés à assurer une stabilité durable sont au centre des discussions, dans une atmosphère où l’urgence le dispute à l’inquiétude.

L’ambiance qui prévaut à Yalta est teintée d’espoir mais également d’une profonde méfiance, chaque dirigeant portant sur ses épaules des responsabilités immenses et des ambitions souvent contradictoires. Roosevelt, affaibli par la maladie et conscient que son mandat touche à sa fin, se présente comme le chef d’une Amérique prête à jouer un rôle mondial dominant. Il désire ardemment le succès des Nations unies et se concentre sur la création d’une paix durable, quitte à faire des concessions à Staline pour s’assurer de son soutien. Lors de cette conférence, il déclare : « L’avenir du monde repose sur notre capacité à coopérer. Si nous échouons aujourd’hui, nous condamnons les générations futures à un cycle sans fin de conflits », affirmant ainsi l’importance cruciale de l’unité entre les Alliés. Sa posture conciliante est toutefois tempérée par une vigilance prudente vis-à-vis des ambitions soviétiques.

Churchill, quant à lui, est hanté par le déclin imminent de l’Empire britannique. Il comprend que la guerre a affaibli irréversiblement la puissance de son pays et voit dans les échanges avec Roosevelt et Staline une bataille pour sauvegarder les intérêts stratégiques britanniques. Sa méfiance envers Staline est à peine voilée, et il lutte pour freiner l’influence soviétique croissante en Europe de l’Est. Lors de cette conférence, Churchill déclare : « Je ne me battrai jamais pour un monde où la liberté serait sacrifiée au nom de la sécurité. Nous devons garantir que les peuples d’Europe puissent déterminer leur propre avenir », exprimant ainsi son attachement profond à la souveraineté nationale et à la démocratie. Ses discours, éloquents et passionnés, visent à préserver l’équilibre des forces tout en cultivant l’alliance cruciale avec les États-Unis.

Staline, de son côté, adopte une attitude stratégique et calculée. En tant que représentant de l’Union soviétique victorieuse mais exsangue, il exige des garanties territoriales et politiques pour protéger l’URSS des agressions futures. Ses objectifs sont clairs : établir une zone tampon de pays sous influence soviétique en Europe de l’Est et obtenir des compensations économiques substantielles. Lors de cette conférence, Staline déclare : « Ceux qui ont versé leur sang pour libérer l’Europe ont le droit de s’assurer qu’elle ne devienne pas un terrain fertile pour de nouvelles agressions contre l’URSS », affirmant ainsi son désir de créer une sphère d’influence pour garantir la sécurité de son pays. Son pragmatisme, bien que redouté par ses interlocuteurs, révèle une maîtrise politique qui façonnera durablement la carte géopolitique mondiale.

Les discussions portent sur plusieurs thèmes fondamentaux. La question allemande est primordiale. Les trois dirigeants conviennent que l’Allemagne doit être démilitarisée, dénazifiée et divisée en zones d’occupation administrées par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union soviétique et, ultérieurement, la France. Cette division vise à affaiblir durablement la capacité de l’Allemagne à mener une guerre future tout en assurant une gouvernance conjointe pour prévenir tout déséquilibre. Par ailleurs, ils décident également de la création d’une commission spécialisée chargée de préparer les réparations de guerre, un sujet éminemment sensible, car il suscite des divergences sur les montants à exiger et sur la façon de les redistribuer entre les nations touchées. Staline insiste sur des indemnités substantielles pour compenser les dévastations subies par l’Union soviétique, tandis que Roosevelt et Churchill plaident pour un équilibre entre justice et reconstruction économique, conscients que l’humiliation économique de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale avait contribué à l’émergence du nazisme.

Un autre point central est la tenue d’élections libres dans les pays libérés d’Europe, un enjeu majeur pour Roosevelt et Churchill. Ils insistent sur la nécessité d’assurer aux peuples le droit de choisir leur gouvernement, voyant dans ce principe une condition essentielle pour éviter de futurs conflits. Roosevelt, en particulier, plaide pour une démocratisation large, convaincu que seul un système reposant sur le suffrage populaire peut garantir la stabilité durable du continent. Churchill, bien que partageant cet idéal, se montre plus pragmatique, admettant en privé qu’il faudra faire des concessions à Staline pour maintenir l’alliance.

Staline, quant à lui, ne cache pas ses intentions. Il obtient que l’Union soviétique exerce une influence majeure sur les états d’Europe de l’Est, arguant qu’il est essentiel de garantir la sécurité de l’URSS après des décennies d’invasions venues de l’Ouest. En Pologne, où la situation est particulièrement tendue, le gouvernement en exil à Londres est écarté au profit d’un régime pro-soviétique contrôlé par Moscou. Cette décision, fruit de longues discussions, provoque l’amertume de Churchill qui la qualifie de « trahison de la Pologne », bien qu’il se résigne finalement à cet arrangement pour éviter une rupture avec Staline.

Ces compromis, bien qu’indispensables à l’unité des Alliés dans l’immédiat, contiennent les germes des tensions qui marqueront l’après-guerre. La domination soviétique sur l’Europe de l’Est, officialisée par ces accords tacites, deviendra rapidement un sujet de discorde majeur entre les Occidentaux et l’Union soviétique, préfigurant ainsi le début de la Guerre froide.

L’un des aspects les plus novateurs de la Conférence de Yalta est la création des Nations unies. Les trois dirigeants s’accordent sur les principes fondamentaux de cette organisation internationale, qui devra assurer la paix et la sécurité collective. Ils fixent également la composition du Conseil de sécurité, avec cinq membres permanents disposant d’un droit de veto – un mécanisme qui reflète les équilibres de pouvoir de l’époque. Cependant, ce système, pensé pour garantir une stabilité durable, montre aujourd’hui ses limites. Le droit de veto, notamment, est souvent critiqué pour paralyser les décisions du Conseil de sécurité sur des questions cruciales, chaque membre permanent utilisant cet outil pour protéger ses propres intérêts. Cette dynamique a conduit à l’inaction face à des crises internationales majeures, comme les conflits en Syrie ou en Ukraine. De plus, la composition du Conseil, figée dans les réalités géopolitiques de 1945, ne reflète plus le poids grandissant de puissances émergentes comme l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud. Ces limites soulèvent des appels réguliers à une réforme en profondeur, visant à rendre cette institution plus représentative et efficace dans un monde en constante évolution.

Les conséquences de la Conférence de Yalta seront immenses. Si elle marque une victoire diplomatique en termes de coopération entre les Alliés, elle pose également les bases de la Guerre froide. Les décisions prises à Yalta, notamment sur le partage de l’Europe, cristallisent les divergences entre les Occidentaux et l’Union soviétique. Ces tensions émergeront pleinement dans les mois qui suivent, alors que le rideau de fer s’abat sur l’Europe.

La Conférence de Yalta, si elle a permis d’esquisser un ordre mondial nouveau, n’a pas résolu les profondes divergences d’intérêts entre les puissances victorieuses. Elle reste aujourd’hui un symbole à la fois d’espoir et de désillusion, un tournant dans l’histoire contemporaine où se jouent les prémisses du monde bipolaire qui dominera la seconde moitié du XXe siècle.

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