ELECTION POLITIQUE CITOYEN

HISTOIRE D'UN JOUR - 7 FEVRIER 1831

Le serment d'une nation, la naissance de la Belgique libre

Le 7 février 1831, dans l’Europe encore bouleversée par les élans révolutionnaires des années 1830, le Congrès national belge adoptait la Constitution qui consacrait l’indépendance de la Belgique. Cet acte fondateur établissait le pays comme une monarchie constitutionnelle parlementaire, affirmant son autonomie face aux grandes puissances de l’époque. Mais cet événement ne peut être compris qu’à la lumière des tensions politiques, des bouleversements sociaux et des ambitions nationales qui avaient émergé au cours des décennies précédentes.

L’année 1830 avait été marquée par une vague de révolutions en Europe, notamment en France, où les Trois Glorieuses de juillet avaient renversé la monarchie bourbonienne au profit de Louis-Philippe d’Orléans. Ce bouleversement, perçu comme une victoire de la liberté sur l’arbitraire, avait résonné bien au-delà des frontières françaises, insufflant un souffle d’espoir et de révolte chez les peuples européens en quête de liberté et d’autonomie. Dans les provinces belges, alors sous domination du Royaume-Uni des Pays-Bas dirigé par le roi Guillaume Ier, cette ferveur trouva un terrain particulièrement fertile. La centralisation autoritaire imposée par Guillaume Ier, couplée à une profonde alénation culturelle et religieuse ressentie par les Belges, amplifia l’effet catalyseur des événements français. La population belge, déjà en proie à des tensions sociales et politiques, trouva dans l’exemple français une inspiration et un prétexte à l’action.

Les Belges ressentaient un profond malaise face à la domination néerlandaise établie par le Congrès de Vienne en 1815. Cette union forcée entre les provinces du sud, riches et industrielles, et les régions du nord, plus rurales et commerçantes, était dès l’origine marquée par des tensions profondes. Les divergences culturelles, linguistiques et religieuses accentuaient ces fractures. Le sud, majoritairement catholique et francophone, se voyait marginalisé par des politiques favorisant le protestantisme et le néerlandais, privilégié comme langue administrative et officielle.

Guillaume Ier, convaincu des bienfaits de la centralisation étatique, avait tenté d’imposer un système uniforme de gouvernance, allant jusqu’à limiter l’autonomie des institutions locales et éclésiastiques. Cette politique se traduisit par un déséquilibre flagrant, notamment dans les domaines de l’éducation et de la justice, où les lois imposées par le roi entraient souvent en conflit avec les aspirations des populations locales. Pour de nombreux Belges, ces mesures étaient perçues comme une tentative de nier leur identité culturelle et religieuse, alimentant un sentiment croissant de frustration.

Cette situation provoqua des résistances multiples : des protestations dans la presse catholique et libérale, des mouvements clandestins et même des soulèvements sporadiques. Les Belges, loin d’être unis dans leur opposition, trouvaient toutefois un point commun dans leur réprobation des politiques jugées autoritaires et discriminatoires. Ainsi, les différences entre le nord et le sud, loin de se résorber, se muèrent en revendications politiques et sociales, préfigurant l’insurrection qui allait suivre.

Le 25 août 1830, la représentation de l’opéra "La Muette de Portici" à Bruxelles devint l’étincelle d’une révolte longtemps couvée. Cette œuvre, avec ses thèmes exaltés de liberté et de révolte contre l’oppression, galvanisa un auditoire déjà imprégné de tensions sociales et politiques. Une fois le rideau tombé, des attroupements spontanés se formèrent dans les rues de Bruxelles, où les appels à la justice et à la fin de la domination néerlandaise furent relayés par une foule croissante.

Des émeutes éclatèrent dans la capitale, marquées par des attaques contre les symboles du pouvoir néerlandais et des répressions violentes. Rapidement, ces désordres se propagèrent à d’autres villes, témoignant d’un mécontentement généralisé. Les citoyens, regroupés en milices improvisées, prirent les armes face à une armée néerlandaise débordée par l’ampleur de l’insurrection.

Les victoires successives des insurgés, notamment la libération de Bruxelles, renforcèrent la confiance en une cause commune. En octobre, la situation prit une tournure décisive avec la formation d’un gouvernement provisoire à Bruxelles. Celui-ci, composé de figures majeures des mouvements catholique et libéral, réalisa un consensus inattendu en proclamant officiellement l’indépendance de la Belgique le 4 octobre 1830. Cet acte, audacieux dans un contexte européen dominé par les grandes puissances, marqua la rupture définitive avec le Royaume-Uni des Pays-Bas et ouvrit une nouvelle ère pour les Belges.

Le Congrès national, élu en novembre 1830, eut pour tâche cruciale de définir les fondements institutionnels de ce nouvel État. Le 7 février 1831, la séance solennelle consacrée à l’adoption de la Constitution marqua un moment d’intense gravité. Les délégués, réunis au sein de l’Hôtel de la Monnaie à Bruxelles, étaient pleinement conscients de l’importance historique de leur entreprise. Les discussions, souvent passionnées, avaient porté sur l’équilibre précis entre libertés individuelles et autorité de l’État, inspirées par les modèles constitutionnels français et britanniques.

Le texte final, rédigé avec un soin minutieux, consacrait la séparation des pouvoirs : un roi héréditaire dont le rôle était largement symbolique, un parlement bicaméral garant de la représentation nationale et un système judiciaire indépendant. La Constitution offrait également des garanties fondamentales, telles que la liberté de presse, de culte et d’association, des principes qui furent salués comme des avancées majeures pour l’époque.

Cette journée fut marquée par des discours émouvants, certains délégués rappelant les sacrifices consentis depuis les premiers émois de la révolte. Parmi eux, l’un des discours les plus marquants fut celui de Joseph Lebeau, qui déclara avec ferveur : « Aujourd’hui, nous donnons à la Belgique son acte de naissance. Ce texte est notre réponse à ceux qui doutaient de notre capacité à construire une nation forte et libre. » D’autres, comme Paul Devaux, insistèrent sur l’importance de l’unité dans cette entreprise historique : « Que cette Constitution soit le reflet de nos aspirations communes, le symbole de notre liberté et de notre détermination à nous affranchir de toute oppression. »

Des applaudissements nourris à plusieurs reprises soulignèrent l’adhésion quasi unanime à ce texte fondateur, perçu comme l’expression d’une nouvelle identité nationale. Lorsque le vote final scella l’adoption, une ferveur collective emplit la salle, accompagnée par l’émotion palpable des participants. Ce jour-là, au-delà des mots, les membres du Congrès national eurent la certitude d’avoir posé les bases d’une nation libre, souveraine et résolument moderne.

Le choix d’une monarchie constitutionnelle, et non d’une république, répondit autant à des préoccupations internes qu’externes. En interne, il s’agissait de rassurer une bourgeoisie influente, soucieuse de stabilité après des années de tumulte révolutionnaire. Sur le plan international, une monarchie offrait une garantie de continuité et une ouverture au dialogue avec les grandes puissances européennes, particulièrement le Royaume-Uni, la France et la Prusse, qui redoutaient que l’expérience belge n’enflamme d’autres aspirations nationales.

Le choix du roi, quant à lui, fut également marqué par ces considérations diplomatiques. Après des débats et plusieurs refus, notamment celui du duc de Nemours, fils de Louis-Philippe, c’est finalement Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha qui fut choisi. Protestant, anglophile et veuf de la princesse Charlotte d’Angleterre, il était un candidat idéal pour apaiser les tensions internationales tout en étant acceptable pour les Belges. Il prêta serment le 21 juillet 1831, donnant ainsi naissance au premier roi des Belges.

La mise en place de la Constitution belge marqua une étape essentielle dans l’histoire européenne, symbolisant un compromis entre les aspirations révolutionnaires et les impératifs de stabilité. Pourtant, les défis étaient loin d’être surmontés. En août 1831, le roi Guillaume Ier tenta de reprendre le contrôle par une campagne militaire, connue sous le nom de "Campagne des Dix-Jours". Bien que les forces belges, aidées par l’armée française, aient réussi à repousser cette tentative, les tensions avec les Pays-Bas subsistèrent jusqu’à la signature du traité des XXIV articles en 1839.

La Constitution belge de 1831 constitue l’une des plus anciennes encore en vigueur, bien qu’elle ait connu des modifications importantes au fil des ans. Elle incarne un équilibre subtil entre tradition et modernité, un exemple précoce de monarchie parlementaire qui allait inspirer d’autres nations. Mais elle est surtout le fruit d’un moment unique, où des hommes et des femmes ont su tirer parti des bouleversements de leur époque pour dessiner les contours d’un avenir qu’ils voulaient libre et souverain.

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