le 17 février 2008, dans un élan d’émotions et d’espoirs, le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance de la Serbie. Cet acte, longuement préparé en coulisses, résulte d'une histoire marquée par des tensions ethniques, des affrontements violents et une intervention internationale. Ce dimanche de février, les rues de Pristina, la capitale, vibrent sous les cris de joie et les drapeaux brandis par des milliers de Kosovars albanais réunis pour célébrer ce qu’ils considèrent comme l’aboutissement d’une lutte multigénérationnelle.
Cette proclamation ne surgit pas dans un vide historique. Elle s’inscrit dans le sillage des conflits des années 1990 qui ont accompagné la désintégration de la Yougoslavie, un processus marqué par une série de guerres et de bouleversements politiques. En son sein, le Kosovo occupait une place singulière. Bien qu'intégré à la Serbie depuis 1912, après les guerres balkaniques, il jouissait d'un statut d'autonomie au sein de la fédération yougoslave instituée en 1945. Cette autonomie, renforcée par la Constitution de 1974, conférait au Kosovo une grande latitude dans sa gestion interne et symbolisait la reconnaissance de sa majorité albanaise, qui revendiquait une identité culturelle et politique distincte. Toutefois, la montée du nationalisme serbe, incarné par Slobodan Miloševi?, entraîne en 1989 la révocation de cette autonomie par Belgrade. Cet acte perçu comme une tentative de centralisation autoritaire exacerbe les tensions ethniques et pose les jalons du conflit à venir, déstabilisant durablement la région.
Les années 1990 sont marquées par une radicalisation progressive dans la lutte pour l’indépendance du Kosovo. Le mouvement pacifiste mené par Ibrahim Rugova, surnommé « le Gandhi des Balkans », aspirait à obtenir l’autodétermination par des moyens non violents, notamment par l’établissement d’institutions parallèles et l’organisation de référendums symboliques. Cependant, face à l’intransigeance de Belgrade et à l’absence de résultats tangibles, ce mouvement perd progressivement de son influence au profit de l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Formée au milieu des années 1990, l’UCK adopte une stratégie de lutte armée, visant à affronter directement les forces serbes et à attirer l’attention internationale sur la cause kosovare. La réaction de Belgrade, dirigée par Slobodan Miloševi?, est brutale. Les opérations militaires, marquées par des massacres de civils et des déportations massives, provoquent une crise humanitaire sans précédent dans la région. Ces exactions, documentées par des organisations internationales, suscitent une condamnation croissante de la communauté internationale.
En 1999, après l’échec des négociations de Rambouillet, qui visaient à trouver un compromis politique entre les aspirations kosovares à l’autonomie et les revendications serbes de souveraineté, et face à l’escalade des violences, l’OTAN intervient de manière spectaculaire. Cette campagne de bombardements aériens contre des cibles stratégiques en Serbie et au Kosovo, lancée sans l’aval explicite du Conseil de sécurité des Nations unies, suscite un vif débat international. Les bombardements, qui durent 78 jours, visent non seulement à désorganiser les forces militaires serbes mais aussi à mettre un terme aux persécutions systématiques contre les populations albanaises du Kosovo, marquées par des déportations massives et des massacres documentés par les ONG humanitaires. Finalement, sous la pression internationale et militaire, un accord technique est signé à Kumanovo. Cet accord entérine le retrait des troupes serbes et le déploiement de la KFOR, une force internationale dirigée par l’OTAN, chargée de garantir la sécurité au Kosovo. Parallèlement, la province est placée sous l’administration directe des Nations unies, conformément à la résolution 1244 du Conseil de sécurité, ouvrant une période de transition incertaine.
Le conflit armé se conclut par la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée en juin 1999, qui instaure un cadre complexe pour le Kosovo. Ce texte place officiellement la province sous administration internationale, confiée à la Mission d’administration intérimaire des Nations unies (MINUK), tout en maintenant formellement la souveraineté serbe. Cette ambiguïté juridique reflète les profondes divisions entre les grandes puissances, notamment les différends entre les membres permanents du Conseil de sécurité. Pendant près d’une décennie, la MINUK agit comme un gouvernement provisoire, supervisant les institutions locales, administrant la justice et favorisant le retour des réfugiés. Parallèlement, les élites kosovares, soutenues par des acteurs internationaux, préparent activement l’éventualité d’une indépendance. Cependant, ce contexte d’administration internationale est marqué par des tensions persistantes, tant entre les communautés albanaise et serbe qu’entre Belgrade et la communauté internationale, retardant la définition d’un statut final pour le territoire.
La déclaration du 17 février 2008 s'inscrit dans ce cadre évolutif. La journée commence à Pristina avec une atmosphère chargée d’expectative. Les rues de la capitale, déjà ornées de drapeaux et envahies par une foule enthousiaste, résonnent des chants patriotiques et des slogans proclamant l’indépendance.
Au sein du parlement, les élus kosovars se réunissent en session extraordinaire. La tension est palpable alors que Hashim Thaçi, Premier ministre, prononce un discours marquant l’événement comme un acte historique et irréversible. Dans son allocution, il déclare : « Nous sommes aujourd’hui des égalés parmi les nations, fiers de notre chemin et déterminés à bâtir un avenir de paix et de prospérité. » Lors de la lecture solennelle de la déclaration d’indépendance, les émotions atteignent leur paroxysme, les applaudissements retentissent et des larmes de joie coulent sur de nombreux visages.
La nouvelle se répand rapidement, suscite des réactions instantanées. Dans le centre-ville, une marée humaine descend dans les rues pour célébrer, agitant des drapeaux kosovars, américains et européens. Des feux d’artifice illuminent le ciel au-dessus de Pristina alors que des discours de dirigeants locaux viennent renforcer l’esprit festif.
Ce moment est immédiatement salué par plusieurs États occidentaux, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, qui publient des communiqués officiels de reconnaissance dans les heures qui suivent. Cependant, cette reconnaissance n’est ni unanime ni dénuée de contestation. Belgrade, où la déclaration est accueillie avec indignation, organise des manifestations de protestation, tandis que le gouvernement serbe, soutenu par la Russie et d’autres pays comme la Chine, condamne fermement cet acte qu’il qualifie de violation flagrante du droit international et de sa souveraineté.
Cette division reflète les fractures géopolitiques entre l’Occident et les puissances émergentes, mais aussi entre pays attachés à l’intégrité territoriale et ceux favorables au droit à l’autodétermination.
Pour les Serbes du Kosovo, minorité significative vivant principalement dans le nord et certaines enclaves du sud, cette indépendance est perçue comme une trahison historique et un abandon de leur patrimoine culturel. Nombreux sont ceux qui considèrent le Kosovo comme le cœur spirituel et historique de la nation serbe, un territoire intimement lié à leur identité collective depuis la bataille du champ des Merles en 1389. Le Kosovo abrite des sites orthodoxes serbes majeurs, comme le monastère de Visoki De?ani et le Patriarcat de Pe?, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, et symbolisant un riche héritage religieux et culturel. Ces lieux, souvent ciblés par des actes de vandalisme et des tensions communautaires, deviennent un enjeu crucial dans les discussions internationales, alimentant les débats sur leur sécurité et leur préservation. La mission civile et militaire de l’Union européenne (EULEX), présente sur le territoire, joue un rôle clé dans la surveillance et la protection de ces sites, mais peine parfois à apaiser les inquiétudes des Serbes quant à leur avenir dans une république dominée par les Albanais du Kosovo.
Dans les années qui suivent, le Kosovo tente de consolider son statut sur la scène internationale. Immédiatement après la proclamation de son indépendance, les élites kosovares s’emploient à obtenir des reconnaissances diplomatiques stratégiques. À ce jour, plus de cent pays reconnaissent son indépendance, dont une majorité des membres de l’Union européenne et de l’OTAN, mais plusieurs États restent réticents pour des raisons internes ou géopolitiques. L’Espagne, par exemple, craint les conséquences pour ses propres régions séparatistes comme la Catalogne ou le Pays basque, ce qui reflète la complexité de l’équilibre territorial en Europe.
Au sein des Nations unies, la situation demeure tout aussi polarisante. La reconnaissance dépend du consensus des membres permanents du Conseil de sécurité, et l’opposition de pays comme la Russie et la Chine empêche toute officialisation de l’indépendance sur la scène onusienne. Cette division ralentit les ambitions diplomatiques du Kosovo, notamment son accès aux organisations internationales clés et son siège officiel à l’ONU. En dépit de ces obstacles, les autorités kosovares poursuivent leurs efforts, en collaborant avec leurs alliés occidentaux pour renforcer leur présence symbolique et politique sur la scène internationale.
Les relations entre Pristina et Belgrade restent conflictuelles mais connaissent des phases de dialogue. Sous l’égide de l’Union européenne, des pourparlers sont engagés pour normaliser les relations, sans aboutir à une reconnaissance formelle de la part de la Serbie. En 2013, les accords de Bruxelles permettent certaines avancées, notamment sur la gestion des municipalités serbes au Kosovo, mais les tensions perdurent. Ces dernières années, elles se sont intensifiées, notamment en 2023 et 2024, avec des affrontements sporadiques dans le nord du Kosovo, où la communauté serbe conteste l’autorité de Pristina.
Les élections municipales controversées dans cette région en 2023, marquées par une faible participation des Serbes et la victoire de maires albanais, ont provoqué des manifestations massives. Ces tensions ont dégénéré en violences, avec des barricades érigées par les manifestants serbes et des affrontements directs avec les forces de l’ordre kosovares soutenues par la KFOR.
En 2024, la situation reste tendue, marquée par l’échec de nouvelles discussions sous l’égide de Bruxelles et par des sanctions économiques réciproques entre la Serbie et le Kosovo. Ces événements révèlent la fragilité des accords passés et soulignent l’importance d’un engagement international soutenu pour prévenir une escalade de la violence dans cette région stratégique.
Sur le plan interne, le Kosovo fait face à de nombreux défis structurels et sociaux. La corruption, omniprésente dans les institutions publiques, mine la confiance des citoyens et ralentit les investissements étrangers. Le clientélisme politique, souvent lié à des