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HISTOIRE D'UN JOUR - 7 MARS 1966

De Gaulle et l'OTAN : d’un retrait historique à un défi contemporain

Le 7 mars 1966, le président de la République française, le général Charles de Gaulle, annonçait officiellement aux Américains la volonté de la France de quitter le commandement intégré de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Cette décision, qui marquait une rupture avec la politique militaire adoptée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, s'inscrivait dans une vision gaullienne de l'indépendance nationale et de la souveraineté stratégique de la France. Quelques jours auparavant, le 21 février, le général de Gaulle avait expliqué sa décision aux Français lors d'une allocution télévisée, insistant sur la nécessité pour la France de disposer d'une capacité de défense indépendante et de ne plus être soumise aux directives d'une alliance dominée par les États-Unis.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France faisait partie de l'OTAN, une alliance militaire créée en 1949 pour contenir la menace soviétique en Europe. Toutefois, dès son retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle avait manifesté son scepticisme face à la domination américaine au sein de l'Organisation. Il considérait que la stratégie militaire de l'OTAN était trop inféodée aux intérêts de Washington et ne tenait pas suffisamment compte des spécificités et des intérêts de la France. Cette perception était renforcée par la place prépondérante occupée par les États-Unis dans les structures de commandement et la stratégie de défense de l'alliance.

Dans les années 1950 et 1960, la doctrine de "représailles massives" adoptée par l'OTAN signifiait que toute agression soviétique, même mineure, pouvait entraîner une réponse nucléaire américaine. Pour de Gaulle, cette stratégie était dangereuse et ne correspondait pas aux besoins de la France, qui devait pouvoir définir ses propres priorités de défense sans être liée à une réponse globale dictée par Washington. Il craignait notamment que la France ne soit entrainée dans un conflit nucléaire déclenché par les Américains sans qu'elle puisse peser sur la décision.

Au début des années 1960, la France avait développé sa propre force de dissuasion nucléaire, baptisée « force de frappe », dont l'objectif était de garantir son autonomie stratégique. Cette force comprenait des missiles balistiques, des bombardiers stratégiques et, plus tard, des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Pour de Gaulle, il était inconcevable que la politique de défense française soit subordonnée à celle des États-Unis, qui disposaient d'un contrôle quasi exclusif sur les moyens de décision militaire de l'OTAN. Il voulait ainsi garantir que la France puisse répondre à toute menace de manière indépendante, sans dépendre de la volonté politique et militaire de Washington.

Dans son allocution du 21 février 1966, le général de Gaulle expliquait aux Français les raisons de sa décision. Il insistait sur la nécessité pour la France de recouvrer une pleine maîtrise de sa politique militaire et de ne plus dépendre des stratégies élaborées à Washington. Il soulignait également le fait que l'Europe était en train de changer et qu'il était nécessaire de réadapter les alliances en conséquence.

« La défense de la France doit être française. Notre pays ne peut se résoudre à déléguer à des puissances étrangères la responsabilité de sa sécurité », déclarait-il. Il précisait toutefois que la France ne quittait pas l'OTAN en tant que telle, mais qu'elle se retirait de son commandement militaire intégré. Il s'agissait donc d'une réorganisation plutôt que d'un abandon total de l'Alliance atlantique.

L'annonce du 7 mars provoqua une réaction vive de la part des États-Unis et des autres membres de l'OTAN. Le président américain Lyndon B. Johnson reçut la lettre officielle de de Gaulle avec une certaine inquiétude, voyant cette décision comme un affaiblissement du bloc occidental face à l'Union soviétique. Dans sa lettre, de Gaulle écrivait : "La France considère que les changements survenus depuis la création de l'OTAN nécessitent une adaptation de sa politique de défense. Elle entend, en conséquence, recouvrer l'entier exercice de sa souveraineté sur son territoire et dans sa stratégie militaire."

Washington et ses alliés européens s'inquiétaient également des conséquences logistiques de ce retrait : la France exigeait que toutes les bases militaires de l'OTAN sur son territoire soient évacuées d'ici avril 1967. Dans sa missive, de Gaulle précisait ainsi : "Les installations militaires liées à l'OTAN devront être progressivement démantelées afin que la France puisse pleinement disposer de son territoire et déterminer souverainement les moyens nécessaires à sa propre défense."

Il ajoutait enfin : "Notre pays entend demeurer solidaire de ses alliés en cas de conflit, mais ne peut accepter que sa stratégie militaire soit définie ailleurs que à Paris. La France assumera désormais, en toute indépendance, la direction et l'organisation de ses forces armées." Par cette affirmation, de Gaulle réaffirmait sa volonté de garantir à la France une pleine autonomie stratégique tout en maintenant une coopération avec les nations occidentales.

Malgré ces tensions, de Gaulle maintint fermement sa position. Il considérait que la France devait pouvoir mener une politique étrangère et de défense pleinement souveraine, quitte à s'attirer les foudres de ses alliés. De son côté, le président américain Lyndon B. Johnson fut irrité par cette annonce, qu'il percevait comme un acte d'ingratitude envers les États-Unis, qui avaient joué un rôle essentiel dans la libération de la France et sa reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. Il déplorait aussi une rupture dans l'unité occidentale face à la menace soviétique. Johnson aurait confié à ses proches collaborateurs que la décision de de Gaulle compliquait la stratégie défensive de l'OTAN et mettait en danger la solidarité du bloc atlantique. Toutefois, plutôt que d'entrer en confrontation directe avec Paris, il choisit une approche pragmatique, engageant des négociations pour organiser le retrait progressif des forces de l'OTAN du territoire français.

Le retrait de la France du commandement intégré de l'OTAN eut des conséquences profondes. D'une part, l'OTAN dû transférer son quartier général de Paris à Bruxelles, ce qui symbolisait une rupture significative avec la France. Ce déplacement ne fut pas uniquement logistique, mais aussi politique : il traduisait le fait que la France ne souhaitait plus accueillir une structure militaire dont elle ne faisait plus pleinement partie. Cette relocalisation marqua le renforcement du rôle de la Belgique au sein de l'Alliance et désengagea davantage la France des décisions stratégiques de l'OTAN.

D'autre part, cette décision renforça la posture indépendante de la diplomatie française, qui chercha à jouer un rôle de médiateur entre l'Est et l'Ouest. En refusant d'être inféodée à Washington, la France put engager des dialogues plus ouverts avec l'Union soviétique et les pays du bloc de l'Est, tout en maintenant une coopération avec ses partenaires occidentaux. La politique d'ouverture à l'Est, amorcée par de Gaulle dès 1964 avec son voyage en URSS, se poursuivit et contribua à asseoir le statut de la France comme puissance diplomatique autonome.

Sur le plan militaire, la France poursuivit le développement de sa force de dissuasion nucléaire et mit en place une doctrine de défense autonome. Cette indépendance permit à la France de se positionner comme une puissance militaire et diplomatique à part entière, tout en conservant des liens stratégiques avec ses alliés. Paris renforça son complexe militaro-industriel, avec des investissements accrus dans l'aéronautique et les technologies de pointe. La stratégie militaire française fut désormais guidée par le principe de "dissuasion du faible au fort", visant à garantir que toute agression contre la France entraînerait une réponse nucléaire proportionnelle mais déterminée. Ce positionnement unique, distinct de celui de l'OTAN, renforça le prestige de la France sur la scène internationale et inspira d'autres pays cherchant à diversifier leurs alliances stratégiques.

Il fallut attendre 2009 pour que la France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, réintègre officiellement le commandement intégré de l'OTAN. Ce retour marquait la fin d'une période de plus de quarante ans durant laquelle la France avait maintenu une position singulière au sein de l'Alliance. Sarkozy justifia cette décision par la volonté de moderniser la posture stratégique française et de renforcer son influence au sein des instances décisionnelles de l'OTAN. Il considérait que l'exclusion du commandement intégré limitait la capacité de la France à peser sur les choix militaires et stratégiques de l'Alliance, alors même que le pays continuait de participer à de nombreuses opérations de l'OTAN.

De plus, le contexte international avait évolué : la menace soviétique avait disparu avec la fin de la Guerre froide, et les nouveaux enjeux de sécurité, notamment la lutte contre le terrorisme et les interventions militaires en Afghanistan ou au Moyen-Orient, plaidaient en faveur d'une plus grande coordination avec les alliés de l'OTAN. Sarkozy voulait ainsi concilier souveraineté nationale et engagement collectif, affirmant que la réintégration ne remettait pas en cause l'indépendance de la dissuasion nucléaire française ni la liberté d'action de Paris en matière militaire.

Aujourd'hui, la question de la place de la France au sein de l'OTAN est de nouveau au cœur des débats stratégiques, alors que l'Europe fait face à la guerre en Ukraine et que l'évolution de la politique américaine sous l'administration de Donald Trump inquiète les alliés occidentaux.

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, l'OTAN a renforcé sa posture en Europe de l'Est. La France a joué un rôle actif dans le soutien à Kiev, en fournissant du matériel militaire, en participant aux initiatives de dissuasion sur le flanc est de l'Europe et en plaidant pour un renforcement de la défense européenne. Emmanuel Macron a notamment appelé à une "autonomie stratégique européenne", soulignant que l'Europe devait pouvoir se défendre elle-même sans être entièrement dépendante des États-Unis.

Depuis son investiture en janvier 2025, Donald Trump a adopté une posture plus ambivalente vis-à-vis de l'OTAN. S'il n'a pas annoncé officiellement un retrait des États-Unis de l'Alliance, ses déclarations et décisions laissent planer le doute sur l'engagement américain en Europe. Lors d'un sommet international en février, il a réaffirmé que les États-Unis ne prendraient pas automatiquement la défense des membres de l'OTAN ne respectant pas leurs engagements financiers, ce qui a intensifié les préoccupations des alliés européens, en particulier des pays d'Europe centrale et orientale directement exposés à la menace russe.

Dans ce contexte, la France et plusieurs États de l'Union européenne ont accéléré leurs discussions sur une autonomie stratégique renforcée, notamment par le biais de la coopération militaire européenne et du développement de capacités de défense indépendantes de l'OTAN. Emmanuel Macron a plaidé pour un renforcement de la défense européenne face à un risque de désengagement progressif des États-Unis, appelant notamment à la création d'une force militaire européenne plus robuste et coordonnée. Néanmoins, cette ambition se heurte encore aux divergences internes au sein de l'Union, certains pays préférant rester sous le parapluie de l'OTAN malgré l'incertitude sur le rôle futur des États-Unis.

Face à ces défis, la France cherche à jouer un rôle moteur dans la construction d'une capacité de défense européenne, en promouvant une coopération militaire renforcée entre les membres de l'Union européenne. Cependant, cette vision se heurte à la réticence de certains partenaires, notamment les pays d'Europe centrale et orientale, qui considèrent l'OTAN comme leur principale garantie de sécurité contre la Russie.

Ainsi, bien que la France demeure un acteur clé de l'OTAN, elle continue de défendre une approche plus européenne de la sécurité collective, oscillant entre engagement dans l'Alliance et volonté de bâtir une défense indépendante au sein de l'Union européenne.

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