Le 17 mars 1959 marque un tournant décisif dans l'histoire du Tibet. En pleine nuit, sous la menace d'une intervention militaire chinoise, le dalaï-lama, chef spirituel et politique des Tibétains, fuit Lhassa et prend le chemin de l'exil en Inde. Ce départ scelle la fin d'une époque et inaugure une longue période de lutte et d'incertitude pour le peuple tibétain.
Depuis l'annexion du Tibet par la Chine en 1950, les tensions entre l'occupant communiste et les autorités tibétaines ne cessent de croître. L'administration chinoise, sous l'égide de Mao Zedong, impose des réformes drastiques qui bouleversent la société tibétaine, s'attaquant aux structures religieuses et aux élites traditionnelles. La confiscation des terres et la répression des manifestations de mécontentement attisent le ressentiment populaire.
Après une période de résistance passive, la situation atteint son paroxysme en mars 1959. Des rumeurs circulent selon lesquelles l'armée chinoise prévoit d'enlever le dalaï-lama pour l'obliger à entériner officiellement l'autorité de Pékin. Le 10 mars, des milliers de Tibétains, redoutant la disparition de leur chef spirituel et politique, se rassemblent spontanément devant le palais du Norbulingka, formant un bouclier humain autour de leur dirigeant. La foule brandit des drapeaux tibétains et scande des slogans contre l'occupation chinoise.
Ce soulèvement, initialement pacifique, se transforme en insurrection ouverte alors que la tension atteint son apogée dans les rues de Lhassa. Les Tibétains, armés de fusils anciens, d'épées et même de bâtons, tentent de résister aux soldats chinois lourdement équipés. Les combats éclatent dans les ruelles sinueuses de la ville, notamment aux abords du Jokhang et du Barkhor, lieux hautement symboliques pour la culture tibétaine.
Les forces chinoises, bien mieux préparées militairement, répliquent avec une brutalité implacable. L'artillerie lourde est utilisée contre les insurgés, bombardant les quartiers où se cachent les résistants et détruisant plusieurs bâtiments historiques. Les rues de Lhassa se transforment en un champ de bataille sanglant, où les cadavres s’amoncellent sous les tirs nourris de l’Armée populaire de libération.
Alors que les Tibétains tentent de défendre leur ville, la répression chinoise s'intensifie. Des arrestations massives ont lieu, des moines sont arrêtés en grand nombre et les exécutions sommaires se multiplient. Le climat de terreur s’installe peu à peu au sein de la population, qui réalise que la bataille est perdue. Face à cette répression implacable, la fuite devient le seul espoir de survie pour ceux qui refusent de se soumettre à l'autorité chinoise.
Face à la répression violente des troupes de Mao Zedong, qui bombardent la capitale et répriment férocement la révolte, le dalaï-lama n'a d'autre choix que de s'enfuir. Le 17 mars 1959, sous la couverture de la nuit, il quitte discrètement le palais du Norbulingka, déguisé en soldat et accompagné de quelques fidèles triés sur le volet. La tension est à son comble, la ville est en état de siège, et chaque mouvement est surveillé par l'armée chinoise.
Escorté par des gardes fidèles et des résistants tibétains, il traverse la ville sous une fine pluie qui alourdit le silence pesant de cette nuit de fuite. Un plan soigneusement préparé prévoit qu’il rejoigne un premier point de rassemblement hors de Lhassa avant d'entamer la dangereuse traversée des montagnes. Sur des sentiers escarpés, le groupe avance en évitant les patrouilles chinoises, conscient que toute capture signifierait une fin tragique.
Après plusieurs jours d'une marche épuisante, bravant les cols glacés de l'Himalaya, le dalaï-lama et son entourage atteignent finalement la frontière indienne. Le 31 mars, il est accueilli à Tawang, en Arunachal Pradesh, par les autorités indiennes. Là, il reçoit l’assurance d’une protection de la part du Premier ministre Jawaharlal Nehru, marquant le début de son long exil. Cet épisode marque non seulement la fuite d’un leader spirituel, mais aussi l’exode d’un peuple dont l’avenir reste incertain.
Au fil des décennies, le dalaï-lama a évolué dans sa position politique. Initialement fervent défenseur de l'indépendance totale du Tibet, il a progressivement adopté une approche plus modérée, connue sous le nom de « voie médiane » (Umaylam). Cette stratégie vise à obtenir une autonomie réelle pour le Tibet au sein de la République populaire de Chine, plutôt que l'indépendance complète. Cette proposition a été formulée pour la première fois en 1987 lors d'un discours au Congrès américain, puis détaillée en 1988 devant le Parlement européen à Strasbourg. Malgré ces efforts de conciliation, les autorités chinoises ont rejeté ces propositions, les considérant comme déguisant une intention séparatiste.
Les relations entre le dalaï-lama et la Chine sont restées tendues. Pékin continue de le qualifier de « séparatiste » et s'oppose fermement à ses activités internationales. En août 2024, des responsables américains de haut rang ont rencontré le dalaï-lama à New York, ce qui a provoqué une réaction virulente de la part de la Chine, réitérant son opposition à toute interaction officielle avec le leader spirituel tibétain.
La question de la succession du dalaï-lama est également source de tensions. Approchant de son 90e anniversaire, il a exprimé son intention de clarifier les modalités de sa réincarnation, conformément aux traditions bouddhistes tibétaines. Cependant, la Chine insiste sur son droit de nommer le successeur, ce qui pourrait conduire à l'existence de deux dalaï-lamas rivaux : l'un reconnu par Pékin et l'autre par la communauté tibétaine en exil.
Malgré ces défis, le dalaï-lama demeure une figure emblématique de la non-violence et de la quête d'une solution pacifique pour le Tibet. Son engagement continu pour la préservation de la culture tibétaine et la promotion des droits de l'homme lui a valu une reconnaissance mondiale, mais la résolution de la question tibétaine reste incertaine face à l'intransigeance de Pékin.