Le 21 mars 1990 : l'aube d'une nation
21 mars 1990. Cette date marque la fin d'une longue nuit coloniale et l'émergence d'un nouveau soleil sur les terres de la Namibie. Mais avant cette renaissance, l'histoire avait longuement mûri dans les profondeurs du temps long, façonnée par les contraintes géographiques et l'empreinte tenace des puissances étrangères. Au cœur de l'Afrique australe, bordée par l'océan Atlantique, la Namibie avait subi pendant plus d'un siècle le poids des ambitions européennes et sud-africaines, contrainte à une douloureuse patience dans l'attente de son indépendance.
D'abord colonie allemande à partir de 1884, sous le nom de Sud-Ouest Africain allemand, le territoire subit une exploitation économique sévère, caractérisée notamment par l'appropriation massive des terres et l'exploitation brutale des ressources naturelles et humaines. L'administration coloniale allemande impose une politique rigide de domination, aggravée par des répressions féroces destinées à écraser toute forme de résistance autochtone. Cette politique atteint son paroxysme au début du XXe siècle avec le génocide des peuples Herero et Nama, considéré comme l'un des premiers génocides du siècle : entre 1904 et 1908, des dizaines de milliers d'hommes, femmes et enfants sont exterminés par les troupes coloniales allemandes, sous prétexte de réprimer une rébellion. Ce tragique événement laisse une profonde cicatrice dans la mémoire collective namibienne, symbolisant les extrêmes de l'oppression coloniale.
Avec la défaite de l'Allemagne en 1918 à la fin de la Première Guerre mondiale, la région est placée sous mandat de l'Union sud-africaine en vertu du traité de Versailles signé en 1919. Cependant, cette transition d'autorité ne conduit pas à une amélioration tangible pour les populations locales. Au contraire, le système de l'apartheid, institué officiellement par l'Afrique du Sud en 1948 mais déjà appliqué auparavant dans les faits, s'étend progressivement en Namibie. Cette politique rigoureuse de ségrégation raciale impose une discrimination systématique, marginalise les populations autochtones et renforce l'exploitation économique des ressources du territoire au bénéfice exclusif d'une minorité blanche. La Namibie entre ainsi dans une nouvelle phase de son histoire, marquée par une autre forme d'asservissement qui ne sera remise en cause que bien des décennies plus tard.
Pendant plusieurs décennies, la Namibie est alors administrée comme une province sud-africaine, malgré les condamnations internationales répétées. Pretoria ignore systématiquement les appels de l'ONU à mettre fin à son occupation, renforçant au contraire son contrôle militaire et économique sur le territoire. Face à cette situation intolérable, la résistance locale s'organise progressivement et gagne en vigueur à partir des années 1960 avec la création du South West Africa People's Organization (SWAPO). Fondée en 1960 sous la direction de Sam Nujoma, cette organisation nationaliste incarne rapidement l'espoir des Namibiens aspirant à la souveraineté et à la dignité. Le SWAPO ne se contente pas de mobiliser sur le plan politique et diplomatique ; il engage également une lutte armée, notamment à travers l'Armée populaire de libération de Namibie (PLAN), dont les guérilleros opèrent depuis les pays voisins tels que l'Angola et la Zambie.
Le contexte géopolitique exacerbe considérablement cette lutte pour l'indépendance. L'Afrique australe devient une zone stratégique pendant la Guerre froide, théâtre d'affrontements indirects entre les blocs soviétique et occidental, chacun soutenant différentes factions pour étendre son influence. Ainsi, la Namibie se retrouve au cœur de rivalités complexes impliquant l'Afrique du Sud, soutenue discrètement par les États-Unis et leurs alliés occidentaux, face à un SWAPO bénéficiant du soutien de l'Union soviétique et de Cuba. Ce jeu géopolitique prolongé accentue considérablement les souffrances humaines, alourdit le bilan des victimes et complique la recherche d'une solution pacifique et durable. La Namibie endure ainsi de longues années de conflits intermittents, qui marqueront profondément la mémoire collective du pays jusqu'à son indépendance.
Ce n'est finalement qu'après des décennies d'une lutte tenace, parfois armée, souvent diplomatique, que les conditions de l'indépendance se dessinent véritablement à partir des années 1980. La résolution 435 des Nations Unies, adoptée en 1978 mais appliquée seulement une décennie plus tard, constitue la charnière juridique indispensable vers la souveraineté. Ce texte historique prévoyait notamment « la conclusion d'un cessez-le-feu et la tenue d'élections supervisées par les Nations unies dans le territoire, afin de permettre au peuple namibien de déterminer librement son avenir politique ». Elle soulignait aussi la nécessité d'une transition ordonnée et pacifique, garantissant ainsi les conditions essentielles à l'émergence d'une Namibie indépendante. Le retrait progressif des forces sud-africaines, négocié sous l'égide de la communauté internationale, s'accélère, ouvrant ainsi la voie à des élections libres en novembre 1989. Le SWAPO, fort d'un soutien populaire massif, remporte la majorité absolue, consacrant ainsi Sam Nujoma comme premier président d'une Namibie indépendante.
Le 21 mars 1990, dès les premières lueurs de l'aube, Windhoek s'anime dans une atmosphère de ferveur et d'émotion palpable. Des milliers de Namibiens affluent de toutes parts, convergeant vers le stade national où doit se tenir la cérémonie officielle d'indépendance. Le site, décoré aux couleurs flamboyantes du drapeau national, symbolise déjà l'espoir d'un nouveau départ, la fin des humiliations et l'entrée dans l'ère de la liberté. À midi précisément, sous le regard attentif d'une foule immense, les symboles coloniaux et sud-africains sont solennellement abaissés pour la dernière fois, tandis que le nouveau drapeau namibien, aux couleurs vives et porteuses d'espoir, monte lentement dans le ciel bleu clair, sous les acclamations et les larmes de joie.
L'instant est historique, profondément chargé de sens. Des personnalités internationales, parmi lesquelles de nombreux chefs d'État africains et représentants des Nations Unies, assistent à ce moment symbolique, soulignant ainsi la reconnaissance internationale du nouveau pays. À midi précisément, Sam Nujoma prête serment en tant que premier président de la Namibie indépendante, sous les yeux attentifs des dignitaires internationaux venus célébrer cet événement historique. Dans son discours inaugural, Nujoma insiste avec force sur l'importance de l'unité nationale, appelant à une réconciliation sincère après tant d'années de division et de souffrance. « Aujourd'hui, nous sommes nos propres maîtres », affirme-t-il avec conviction, soulignant que « la Namibie appartient désormais à tous ses habitants, quelle que soit leur couleur, leur race ou leur croyance ». Il rappelle également que « notre tâche la plus urgente est de travailler ensemble pour effacer les cicatrices profondes laissées par le colonialisme et l'apartheid ». Nujoma insiste sur la nécessité urgente d'œuvrer pour le développement socio-économique, promettant une gouvernance inclusive destinée à répondre aux immenses défis hérités du passé colonial : reconstruction économique, lutte contre les inégalités sociales persistantes et intégration harmonieuse des différentes ethnies qui composent désormais la nation namibienne.
Toute cette journée historique est marquée par des festivités populaires à travers le pays : chants, danses traditionnelles, discours spontanés et célébrations en famille ou en communauté témoignent de l'immense soulagement et du sentiment profond de liberté retrouvée. Le 21 mars 1990 entre ainsi dans l'histoire comme une journée fondatrice, symbole d'une volonté collective d'avancer enfin vers un avenir commun, pacifié et souverain.
Aujourd'hui, plusieurs décennies après cette journée historique, la Namibie poursuit son chemin avec des réussites remarquables mais aussi des défis persistants. Le pays est souvent cité comme un exemple de stabilité politique en Afrique australe, ayant réussi à préserver une démocratie multipartite fonctionnelle et une relative harmonie sociale malgré son passé complexe. Toutefois, la Namibie continue d'affronter des enjeux économiques importants, avec de fortes inégalités sociales et une pauvreté encore répandue, héritages persistants de l'époque coloniale et de l'apartheid. L'économie demeure largement dépendante de l'exploitation des ressources naturelles, notamment l'industrie minière, qui impose un impératif urgent de diversification. Enfin, sur le plan social, la question de la réconciliation nationale et de l'intégration ethnique reste un processus dynamique, exigeant des efforts constants pour maintenir l'unité nationale si chèrement acquise en 1990.