NECROLOGIE

Abdullah Badawi, l’adieu à un réformateur discret

Le 14 avril 2025, Abdullah Ahmad Badawi s’est éteint à l’âge de 85 ans.

Abdullah Ahmad Badawi, né le 26 novembre 1939 à Kepala Batas, dans l'État de Penang en Malaisie, fut une figure majeure de la politique malaisienne. Son grand-père paternel, Sheikh Abdullah Badawi Fahim, fut un important religieux et conseiller religieux du premier Premier ministre malaisien, ce qui influencera fortement son orientation spirituelle et politique. Son père, Ahmad Badawi, était également actif dans la politique locale. Issu d’une famille pieuse et influente, Abdullah a été formé à l’Université de Malaya, où il a obtenu un diplôme en études islamiques en 1964, se distinguant par son intérêt pour la philosophie islamique et la gouvernance morale. Sa formation universitaire l'a préparé à une carrière où spiritualité et politique seraient intimement liées.

Dans sa vie privée, Badawi était connu pour sa foi profonde et son engagement constant envers les valeurs de l’Islam modéré, qu’il considérait comme une voie d’harmonie entre tradition religieuse et modernité. Marié à Endon Mahmood, une femme discrète mais très aimée du public pour son implication dans les activités caritatives et culturelles, le couple formait une unité très soudée jusqu’au décès d’Endon en 2005 des suites d'un cancer. Sa disparition affecta profondément Badawi, qui continua à lui rendre hommage tout au long de sa vie. En 2007, il se remaria avec Jeanne Abdullah, une amie de longue date de sa première épouse et ancienne cadre de l'administration publique. Leur union fut accueillie avec bienveillance par la population, voyant en elle la continuité d’un homme attaché aux valeurs familiales et à la stabilité personnelle.

Il a d'abord travaillé comme haut fonctionnaire au sein du Conseil national de sécurité, puis au ministère de la Jeunesse et des Sports, où il s'est distingué par sa rigueur administrative et sa capacité à construire le dialogue entre les jeunes et les institutions. Il rejoint ensuite le cabinet du Premier ministre Abdul Razak Hussein en tant que secrétaire politique, ce qui lui ouvre les portes de la sphère politique. En 1978, il est élu député de Kepala Batas sous la bannière de l'UMNO (Organisation nationale des Malais unis). Son ascension politique est rapide : il devient ministre de la Jeunesse et des Sports, puis occupe successivement des postes clés dans les ministères de l'Éducation, de la Défense et des Affaires étrangères. Son style sobre, conciliant et respectueux des institutions le rend populaire au sein du parti. En 1999, il est nommé vice-Premier ministre par Mahathir Mohamad, consolidant sa position comme successeur potentiel.

En octobre 2003, il succède à Mahathir Mohamad au poste de Premier ministre de Malaisie, devenant le cinquième chef du gouvernement du pays. Lors de sa nomination, il déclare : « Nous voulons une administration qui inspire la confiance, qui combat la corruption et qui place l’intérêt du peuple avant tout. » Cette volonté de changement tranche avec le style plus autoritaire de son prédécesseur.

Dès le début de son mandat, Abdullah Badawi lance une vaste campagne contre la corruption, promettant de restaurer l’intégrité des institutions publiques. Il soutient l'indépendance du Bureau anti-corruption et introduit de nouveaux mécanismes de responsabilisation dans la fonction publique. Il encourage également les initiatives économiques rurales, en misant sur le développement de l’agriculture comme pilier de la croissance inclusive. Il modernise le système éducatif, notamment en augmentant les budgets pour les écoles rurales et les formations techniques, et réaffirme l’importance de l’unité nationale dans un pays marqué par les clivages ethniques.

En 2004, il remporte une victoire électorale écrasante avec une majorité historique au Parlement, obtenant plus de 90 % des sièges. Fort de ce soutien populaire, il lance le "Plan de développement de l’axe nord", qui vise à renforcer les infrastructures dans les régions moins développées. Il soutient également le développement des PME et investit dans les technologies de l'information. Toutefois, son second mandat, entamé en 2008, est affaibli par une série de défis : la montée du prix des denrées alimentaires, les pénuries d'énergie et les tensions entre les communautés ethniques.

Les critiques se multiplient sur le rythme jugé trop lent des réformes et l’absence de réponses concrètes aux attentes sociales. L’opposition politique gagne du terrain, notamment lors des élections de 2008, où la coalition au pouvoir perd sa majorité des deux tiers au Parlement. Cette défaite historique affaiblit fortement son autorité au sein de l'UMNO et précipite sa décision de quitter le pouvoir.

Sous sa direction, l’Islam Hadhari, un concept d’Islam civilisé et progressiste, fut promu comme doctrine officielle visant à concilier foi religieuse, développement économique et bonne gouvernance. Cette approche prônait notamment la tolérance interreligieuse, l’importance de la connaissance, la justice sociale et la transparence. Badawi voyait dans cette vision une réponse aux défis du monde moderne, en particulier pour les pays majoritairement musulmans, et souhaitait faire de la Malaisie un exemple de nation musulmane moderne et ouverte.

Cependant, l'Islam Hadhari a rapidement fait l’objet de débats et de controverses. Certains y voyaient un outil politique pour séduire l'électorat urbain et modéré, tandis que d'autres critiquaient une approche trop floue ou cosmétique qui ne répondait pas aux préoccupations religieuses plus conservatrices. Malgré son ambition initiale, le concept perdit de son influence avec le temps, surtout après la montée de courants islamistes plus rigoureux dans le pays.

En avril 2009, face aux pressions croissantes au sein de l'UMNO, à la baisse de sa popularité et aux appels à un renouvellement du leadership, Abdullah Ahmad Badawi annonce son retrait de la vie politique active et cède le pouvoir à son successeur désigné, Najib Razak.

Abdullah Ahmad Badawi restera dans l’histoire comme un homme de compromis, porteur d’une vision d’une Malaisie plus tolérante et moderne. Son héritage politique est mêlé de réformes inachevées et d’un style de leadership apaisant. Sa disparition marque la fin d’une époque pour la Malaisie contemporaine.

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