Le 23 avril 2025, Fouad Mebazaa est décédé à l'âge de 91 ans.
Fouad Mebazaa, né le 15 juin 1933 à Tunis, est une figure politique majeure de la Tunisie contemporaine. Issu d'une famille bourgeoise tunisienne, il grandit dans un environnement intellectuel où la conscience nationale était vive, notamment dans les cercles proches du Néo-Destour. Brillant élève, il poursuit ses études secondaires au prestigieux Collège Sadiki avant de partir en France pour étudier le droit à l'Université de Paris. C'est durant ces années qu'il fréquente les milieux étudiants arabes engagés et affine sa pensée politique. De retour en Tunisie dans les années 1950, il s'engage très tôt dans le mouvement nationaliste, rejoignant les rangs du Néo-Destour, où il milite activement pour l'indépendance de son pays, acquise en 1956. Il est alors remarqué pour ses talents d'orateur, sa rigueur et son attachement aux idéaux modernistes portés par Habib Bourguiba.
Mebazaa a commencé sa carrière politique au sein du Néo-Destour, parti moteur de l'indépendance tunisienne, avant de poursuivre son engagement au sein du Parti socialiste destourien (PSD). Très impliqué dans les premières années de la République, il a participé à l'élaboration des institutions tunisiennes et à la mise en œuvre des grandes réformes éducatives et sanitaires voulues par Habib Bourguiba.
Dans les années 1970 et 1980, il occupe plusieurs postes ministériels où il laisse une empreinte notable. En tant que ministre de la Jeunesse et Sports, il initie un vaste programme de développement des infrastructures sportives, avec la création de centres régionaux de formation et de stades scolaires, encourageant ainsi l'intégration du sport dans l'éducation nationale. Il milite également pour une plus grande participation des jeunes à la vie associative et citoyenne.
Nommé ensuite ministre de la Santé, il s'attelle à moderniser les structures hospitalières, notamment en rénovant les hôpitaux universitaires et en améliorant la couverture médicale dans les zones défavorisées. Il met en place des campagnes nationales de vaccination et renforce les formations du personnel médical, tout en insistant sur l'accessibilité des soins primaires.
Enfin, en tant que ministre de la Culture et de l'Information, il joue un rôle crucial dans le développement d'une politique culturelle tunisienne visant à valoriser le patrimoine national et à soutenir la création contemporaine. Il crée plusieurs festivals régionaux, encourage la production cinématographique locale et soutient la presse francophone et arabophone, tout en veillant à préserver l’équilibre entre liberté d’expression et respect des lignes politiques du régime en place.
En 1997, fort de sa longue expérience ministérielle et de sa réputation d’homme modéré et compétent, Fouad Mebazaa est élu président de la Chambre des députés. Son élection résulte d’un consensus au sein du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti au pouvoir, qui voyait en lui un homme loyal mais capable de donner au parlement une façade de respectabilité institutionnelle. Il occupe cette fonction jusqu'en 2011. Durant cette longue période, il s'efforce de faire de l'institution parlementaire un espace de régulation politique, malgré les limites imposées par le régime autoritaire de Ben Ali. Mebazaa travaille à professionnaliser les travaux parlementaires, renforçant les commissions permanentes, instaurant des procédures plus rigoureuses dans l'examen des lois et œuvrant pour une meilleure organisation interne. Bien que l'assemblée soit largement dominée par le parti au pouvoir, il s'attache à préserver un minimum de débat démocratique en interne, notamment sur les sujets sociaux, éducatifs et culturels, jouant parfois un rôle discret mais réel d’arbitre entre les sensibilités du régime.
Après la révolution tunisienne de janvier 2011, et la fuite du président Zine el-Abidine Ben Ali, Fouad Mebazaa devient président de la République par intérim le 15 janvier 2011, en vertu de l'article 57 de la Constitution. Dans sa première déclaration télévisée à la nation, il affirme avec gravité : « Je m'engage devant le peuple tunisien à garantir la continuité de l'État, à préserver l'ordre public et à œuvrer pour la réalisation des objectifs de la révolution. »
Durant cette période charnière, il joue un rôle essentiel dans la transition politique. Dès sa prise de fonction, il nomme un nouveau gouvernement provisoire dirigé par Béji Caïd Essebsi, dont la mission principale est de rétablir la confiance dans les institutions. Il engage un dialogue national en convoquant régulièrement les représentants de la société civile, les syndicats, les associations et les partis politiques, y compris les courants longtemps marginalisés sous Ben Ali.
Mebazaa initie également la création de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, un organe consultatif et de veille composé de figures respectées, chargées de préparer les bases d’un nouveau régime démocratique. Il veille personnellement à garantir l'indépendance de cette instance et à en préserver le pluralisme.
Conscient de la nécessité de restaurer la légitimité populaire, il milite pour une justice transitionnelle afin de traiter les crimes et abus du passé, et insiste sur un processus électoral libre, transparent et surveillé par des observateurs nationaux et internationaux. Sous sa présidence, la Tunisie organise ses premières élections libres le 23 octobre 2011, marquant un tournant historique avec l’élection d’une Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Cette transition pacifique, largement saluée à l’international, reste l’un des faits d’armes les plus marquants de sa carrière.
Homme de dialogue, respecté pour sa pondération et son sens de l’État, Mebazaa a quitté la vie politique après son mandat provisoire, refusant de se présenter à la présidence à l’issue de la transition. Dans sa dernière allocution en tant que chef de l'État par intérim, il déclare : « Mon devoir était de servir le pays dans une phase critique, de garantir la transition, et de m'effacer ensuite. Je n’ai jamais aspiré à exercer le pouvoir au-delà de ce que m'imposaient les circonstances exceptionnelles que vivait la Tunisie. Aujourd’hui, je rends au peuple tunisien la souveraineté qu’il a si chèrement reconquise. » Ce message fort, empreint d’humilité et de lucidité, a été salué comme l’un des gestes fondateurs de la nouvelle éthique politique post-révolutionnaire. Par ce renoncement volontaire, il a marqué la rupture avec les pratiques de pouvoir personnalisées et autoritaires qui avaient dominé la scène politique tunisienne pendant des décennies.
Il laisse derrière lui le souvenir d'un homme dévoué à son pays, qui a su incarner une figure de stabilité au moment où la Tunisie en avait le plus besoin.