Aujourd'hui, le 5 mai 2025 marque le 210e anniversaire de la naissance de Louis-Jules Trochu.
Né le 12 mars 1815 au Palais, sur l’île de Belle-Île-en-Mer dans le Morbihan, Louis-Jules Trochu grandit dans une Bretagne encore imprégnée du souvenir des guerres révolutionnaires. Son père, Jean-Louis-Anne-Stanislas Trochu, ancien capitaine de vaisseau devenu receveur des contributions indirectes, et sa mère, Prudence Le Maux, transmettent à leurs dix enfants une solide piété catholique et le goût de l’effort . Dans ce milieu modeste mais instruit, le jeune Trochu révèle tôt des dons pour les mathématiques et le dessin, compétences qu’il cultive avec acharnement.
Dès l’enfance, le futur général manifeste un esprit d’observation aiguisé : il relève la diversité des vents, consigne les horaires des marées et reproduit, à l’aide de petits soldats de plomb, les batailles racontées par son grand-père qui avait servi sous la Convention. Cette passion précoce pour la cartographie et la stratégie nourrit une vocation militaire que rien ne détournera, pas même l’attirance pour les études de droit que lui propose un oncle notaire à Lorient.
En 1835, après des études brillantes au collège d’Auray puis au lycée de Vannes, il intègre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Deux ans plus tard, il en sort troisième sur 275 et choisit d’entrer dans l’État-major, convaincu que la science du commandement vaut mieux que l’éclat des charges de cavalerie . Son premier poste le conduit au 6e régiment d’infanterie légère, qu’il quitte cependant rapidement pour la grande aventure coloniale.
Envoyé en Algérie en 1841, Trochu participe à six ans de campagnes rudes qui le mènent des plaines de la Mitidja aux crêtes de Kabylie. Capitaine en 1843 puis chef de bataillon en 1845, il gagne la confiance de Bugeaud par sa capacité à combiner marches forcées et négociation avec les tribus . En Algérie, il côtoie le duc d’Aumale, assiste à la reddition d’Abd el-Kader, et établit un relevé topographique de l’Atlas qui sera encore consulté par Lyautey cinquante ans plus tard. Il expérimente également la création de postes avancés fortifiés, ancêtres des futurs bordjs, et préconise l’emploi d’auxiliaires indigènes, convaincu que la conquête ne peut réussir sans alliance locale. Ces initiatives, qualifiées de « système Trochu », annoncent les futures opérations de pacification de l’empire colonial. Ses carnets révèlent un officier soucieux de la logistique, dénonçant déjà la suffisance des états-majors parisiens et l’insuffisance sanitaire des colonnes mobiles.
La Deuxième République lui ouvre d’autres horizons. Nommé chef d’état-major de la 1ère division du général Bosquet, il débarque en Crimée en septembre 1854. Il planifie l’assaut de l’Alma, dirige la construction des tranchées devant Sébastopol et, blessé au bras gauche, reste au front jusqu’à la prise de Malakoff. Pour sa conduite, il reçoit la commande de la Légion d’honneur et les galons de général de brigade. À peine rétabli, il sert en Italie en 1859 : à Solferino, sa division protège le flanc droit français sous une pluie torrentielle, consolidant la victoire de l’alliance franco-piémontaise.
Promu général de division, Trochu est appelé en 1866 au ministère de la Guerre. Lucide, il constate que le prestige impérial ne masque plus les carences structurelles : obsolescence des fusils, excès de parade, confusion hiérarchique. Il rédige un rapport explosif plaidant pour la conscription courte et l’armement à répétition. Publié anonymement en 1867 sous le titre L’Armée française en 1867, le texte devient un best-seller militaire et vaut à son auteur l’inimitié des courtisans, mais aussi la confiance du pays . Son franc-parler lui fait refuser le bâton de maréchal offert par l’impératrice, geste révélateur d’un caractère plus attaché aux principes qu’aux récompenses.
Lorsque la guerre franco-prussienne éclate le 19 juillet 1870, Napoléon III le nomme gouverneur de Paris et commandant des forces de la capitale le 17 août . Après la capitulation de Sedan, la foule proclame la République le 4 septembre ; Trochu, réputé loyal et républicain tempéré, est porté à la présidence du Gouvernement de la Défense nationale - c’est-à-dire chef d’État par intérim . Pendant le siège, il mobilise 400 000 gardes nationaux, fortifie les buttes de Montmartre et de Chaillot et construit une ceinture de redoutes. Il fait rationner la capitale, institue des boulangeries municipales et fait fondre les grilles des parcs pour fabriquer des canons ; il autorise même la sortie en ballon de Léon Gambetta, pari audacieux qui permet au ministre de rallier les provinces. Pourtant, son refus d’une sortie générale jugée suicidaire lui attire l’incompréhension d’une opinion chauffée à blanc par la presse et les clubs révolutionnaires.
Accusé de mollesse par la gauche et de témérité par les conservateurs, il remet sa démission le 22 janvier 1871, tout en demeurant symboliquement chef de l’exécutif jusqu’aux élections de février . Il est cependant plébiscité dans huit circonscriptions et choisit de représenter le Morbihan. À l’Assemblée nationale, où il siège au centre droit, il soutient Adolphe Thiers, vote pour l’armistice mais défend une amnistie mesurée des communards. Président du conseil général du Morbihan en 1871-1872, il modernise le réseau routier, développe les conserveries de sardines et milite pour la création d’écoles de pêche.
Épuisé par les querelles monarchistes, il quitte la vie politique en juillet 1872 et prend sa retraite militaire en janvier 1873 . Il se retire d’abord sur sa terre natale, dans la propriété de Haute-Boulogne. Marié depuis 1845 à Antoinette Hedwige Maurier, fille d’un industriel lyonnais, il mène une existence discrète, partageant son temps entre sa bibliothèque, la musique d’église et la pêche au large de Belle-Île . Devenu veuf, il s’installe en 1889 à Tours auprès de sa fille cadette et du docteur Fornier, son gendre, continuant de rédiger des notes tactiques et de suivre la politique étrangère.
C’est dans cette ville qu’il s’éteint le 7 octobre 1896 d’une insuffisance cardiaque, à l’âge de 81 ans . Selon son vœu, ses obsèques ont lieu sans pompe : un drapeau tricolore recouvre le cercueil, porté par quatre anciens mobiles. Après une messe à la cathédrale Saint-Gatien, il est inhumé au cimetière communal de Tours, auprès de son épouse .
Trochu laisse des Mémoires, plusieurs rapports tactiques et, surtout, l’exemple d’un officier républicain qui mit l’honneur au service de la modération. Ni aventurier bonapartiste, ni tribun radical, il représenta cette « droite républicaine » qui permit à la Troisième République de s’enraciner. Deux cents ans après sa naissance, son itinéraire rappelle que le courage peut se conjuguer avec la prudence et que la défense de la patrie ne dispense jamais du respect des citoyens.