Aujourd'hui, 14 mai 2025 marque le 245e anniversaire de la naissance de Jules Auguste Armand Marie de Polignac (14 mai 1780 – 2 mars 1847), figure majeure de l’ultra-royalisme français du premier XIXe siècle. Né à Versailles, il est le fils cadet du 1er duc de Polignac, Jules Armand, et de Gabrielle de Polastron, intime confidente de la reine Marie-Antoinette.
Enfant de l’Ancien Régime, le jeune Jules grandit dans l’opulence des appartements familiaux à Versailles, fréquentant une cour brillante dont l’effondrement en 1789 bouleverse son destin. Avec sa mère, compromise par sa proximité avec la souveraine, il prend le chemin de l’exil au Royaume-Uni puis en Allemagne. Ces années formatrices entretiennent chez lui une nostalgie monarchique et une piété ardente qui façonneront toute sa carrière.
Revenu en France sous le Consulat, il se compromet, en 1804, dans la conjuration de Cadoudal et de Pichegru contre Napoléon. Arrêté, il est détenu au Temple et ne recouvre la liberté qu’en 1813. L’épreuve renforce ses convictions légitimistes ainsi qu’une religiosité quasi mystique qui nourrira plus tard sa légende noire.
À la première Restauration, Louis XVIII le nomme pair de France (1816). Polignac refuse d’abord de prêter serment à la Charte jugée contraire aux droits de l’Église ; sur avis du pape, il finit par s’y résoudre et reçoit en 1820 le titre romain de prince. En 1823, il devient ambassadeur à Londres, défendant avec raideur les intérêts ultra-royalistes et les missions catholiques.
Sa vie privée témoigne du même mélange d’audace sociale et de fidélité familiale. En 1816, il épouse l’Écossaise protestante Barbara Campbell, union qui scandalise certains milieux catholiques et s’achève tragiquement par la mort de l’épouse en 1819. En 1824, il convole avec Mary-Charlotte Parkyns, fille du baron Rancliffe ; sept enfants naîtront, dont Camille (futur général confédéré), Edmond (compositeur) et Ludovic (officier en Algérie).
Le 8 août 1829, Charles X rappelle Polignac à Paris et le nomme ministre des Affaires étrangères ; en novembre, il le porte à la présidence du Conseil. Pour l’opinion libérale, l’arrivée de ce fervent ultra-royaliste annonce la remise en cause des acquis constitutionnels : l’intéressé n’a jamais caché son souhait de restaurer l’autorité absolue du trône et de l’autel.
Tout au long de l’année 1830, le cabinet Polignac multiplie actes réactionnaires : dissolution d’une Chambre frondeuse, restrictions du suffrage, pressions sur la presse. Le 25 juillet, le ministre convainc Charles X de signer les Quatre Ordonnances suspendant la liberté de la presse et restreignant le corps électoral. Trois jours plus tard éclatent les "Trois Glorieuses" ; Paris se soulève et la monarchie bourbonienne s’effondre.
Polignac tente de gagner l’ouest du pays mais est arrêté à Granville. Jugé par la Chambre des pairs, il est condamné, le 28 décembre 1830, à la détention perpétuelle au château de Ham. Là, il écrit ses Considérations politiques (1832) et entretient une volumineuse correspondance, toujours convaincu de la légitimité divine des Bourbons.
L’amnistie de 1836 commue sa peine en exil. Il s’établit alors en Angleterre, où ses liens familiaux lui ouvrent la bonne société. Son nom apparaît en 1837 dans les registres d’indemnisation des propriétaires d’esclaves des Antilles britanniques, concernant 628 esclaves à Saint-Vincent. L’épisode révèle les contradictions d’un aristocrate resté attaché aux privilèges économiques de l’Ancien Régime.
Porté par une foi catholique fervente, Polignac considérait l’union du trône et de l’autel comme la garantie de l’ordre social. Des contemporains prétendirent qu’il recevait directement ses instructions de la Vierge ; aucune source décisive ne l’atteste, mais la rumeur contribua à discréditer son ministère. Avant même sa chute, il appuya ardemment l’expédition d’Alger de juin 1830, qu’il voyait comme une mission civilisatrice et catholique de la France.
L’historiographie récente nuance toutefois l’image d’un doctrinaire figé. L’étude de ses lettres aux siens montre un père attentif, favorable à l’instruction des filles et passionné de musique et de langues orientales, curiosité qu’il développa lors de son ambassade à Londres. Si ces traits n’excusent pas ses responsabilités politiques, ils rappellent la complexité d’un aristocrate partagé entre fidélité aux principes d’Ancien Régime et intérêt pour certaines idées modernes.
Rentré discrètement en France en 1845, Polignac se retire à Saint-Germain-en-Laye. Il y meurt le 2 mars 1847, à 66 ans, des suites de sa longue captivité, quelques semaines après avoir hérité du titre de 3e duc de Polignac à la mort de son frère Armand.
Son héritage s’exprime aussi à travers sa descendance. Son fils Camille-Armand-Jules-Marie, élevé entre la France et l’Angleterre, embrassa une carrière militaire aventureuse : officier en Crimée, puis major-général dans l’armée confédérée américaine, il perpétua l’ardeur chevaleresque de la lignée. Son frère Edmond, compositeur et mécène, fit dialoguer aristocratie et modernité ; son exploration de la gamme octatonique inspira Debussy et Ravel, donnant à la maison Polignac un rayonnement artistique salué des deux côtés de l’Atlantique.
Polignac demeure enfin une silhouette incontournable du roman national. Pour les légitimistes d’aujourd’hui, il incarne le martyr d’un idéal monarchique pur ; pour les républicains, il reste l’ultime rempart d’un absolutisme déclinant. Les historiens, eux, évoquent la cohérence d’un homme convaincu d’obéir à la Providence, mais incapable de mesurer l’ampleur des mutations sociales et politiques qui redessinaient la France post-révolutionnaire.
Ainsi, l’évocation du prince-ministre en ce 14 mai 2025 rappelle que l’histoire bascule parfois sur l’inflexibilité d’un seul homme. Elle nous invite à méditer sur la nécessité du compromis face aux certitudes idéologiques, un message dont la portée excède largement le seul XIXe siècle. Qu’on l’absout ou qu’on le condamne, son nom demeure lié à un tournant décisif de l’histoire de France, démontrant que les convictions individuelles peuvent précipiter la chute des régimes les plus établis.