NECROLOGIE

José Mujica, l’homme qui refusait les dorures du pouvoir

José Alberto Mujica Cordano, dit "Pepe Mujica", s'est éteint le 12 mai 2025, laissant derrière lui une empreinte indélébile dans l'histoire politique de l'Uruguay et bien au-delà. Figure atypique, il incarna un engagement politique rare, profondément enraciné dans une vie de luttes, d'austérité choisie et de convictions humanistes. Il avait 89 ans.

Né le 20 mai 1935 à Montevideo dans une famille modeste, Mujica grandit dans une ferme et connut dès l'enfance les rudes réalités de la vie rurale. Très jeune, il s'engage politiquement dans le mouvement d'opposition au conservatisme ambiant. Dans les années 1960, il devient l’un des leaders du mouvement de guérilla des Tupamaros, influencé par les courants révolutionnaires de gauche latino-américains. Capturé à plusieurs reprises, il passe quatorze années en prison, dont plusieurs en isolement total. Cette expérience, loin de le briser, forgea en lui une résilience tranquille et une pensée politique centrée sur la dignité humaine et la justice sociale.

Avec le retour de la démocratie en 1985, Mujica abandonne la lutte armée pour embrasser l’action politique institutionnelle. Il participe à la fondation du Mouvement de participation populaire (MPP), intégré au sein du Front large (Frente Amplio), une coalition de gauche qui allait transformer le paysage politique uruguayen. Élu député, puis sénateur, il se fait connaître pour son franc-parler, sa simplicité désarmante et son style de vie diamétralement opposé aux privilèges du pouvoir. Lorsqu’il devient ministre de l’Agriculture sous le gouvernement de Tabaré Vázquez, il continue de conduire sa vieille coccinelle Volkswagen bleue et de vivre dans sa ferme en périphérie de Montevideo, refusant les honneurs et les fastes de la capitale.

En 2009, Mujica est élu président de la République orientale de l’Uruguay. Son mandat (2010-2015) est marqué par une série de réformes sociétales audacieuses : légalisation du mariage homosexuel, de l’avortement et de la production de cannabis contrôlée par l’État. Ces décisions, prises dans un souci de pragmatisme et de cohésion sociale, placent l’Uruguay à l’avant-garde du progressisme démocratique mondial. Mujica se distingue aussi sur la scène internationale par ses discours empreints de sagesse et d’humilité, fustigeant la surconsommation, le capitalisme effréné et la destruction de la planète. Il devient alors une figure respectée et admirée bien au-delà de son pays, saluée pour sa cohérence entre les paroles et les actes.

Ce qui frappe chez Mujica, c’est l’alliance rare entre radicalité idéologique et sens aigu du compromis. Il savait dialoguer, écouter, accepter les désaccords. Il ne cessa jamais de rappeler que la politique devait être un outil au service de la vie et non une fin en soi. Fidèle à ses idées, il reversait la majeure partie de son salaire de président à des œuvres sociales, continuant de vivre dans des conditions austères, sans jamais céder à la tentation du pouvoir personnel ou de l’enrichissement.

Après la présidence, Mujica retourne au Sénat, puis se retire progressivement de la vie politique active. Atteint d’une maladie chronique et affaibli par l’âge, il annonce en 2020 sa décision de quitter la scène publique, sans drame ni pathos. Il déclarait alors : « J’aime profondément la vie, mais je la défends en m’en détachant. » Une phrase à l’image de tout son parcours, où l’ascétisme choisi rejoignait une forme de sagesse stoïcienne.

Pepe Mujica fut un homme de paradoxes assumés. Révolutionnaire devenu président, rustique dans un monde de luxe, humble parmi les puissants. Son visage buriné, sa voix grave et tranquille, sa présence paisible incarnaient une autre manière de faire de la politique, faite de proximité, d’authenticité, et de refus de la démagogie.

Sa disparition laisse un vide immense dans le cœur des Uruguayens, mais aussi dans celui de tous ceux qui, à travers le monde, croyaient encore possible une politique au service du bien commun, loin des appareils, des égos, et des logiques de profit. En ces temps d’incertitudes, la mémoire de Mujica s’imposera comme un phare pour les générations futures.

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