Né le 29 juin 1886 à Luxembourg, Robert Schuman grandit dans une Europe marquée par les déchirements des nationalismes et les tensions frontalières. On célèbre aujourd'hui son 139ème anniversaire. Fils unique d'un employé des chemins de fer originaire de Lorraine, il baigne dès l'enfance dans un monde où la question de l'identité nationale est chargée d'ambiguïtés. L'annexion de l'Alsace-Moselle par l'Allemagne consécutive à la guerre de 1870 fait de lui un sujet de l'Empire allemand à sa naissance, bien que de culture française.
Elevé dans un environnement bilingue, il reçoit une éducation catholique rigoureuse au lycée athénée de Luxembourg, puis à l'université de Bonn où il étudie le droit. Il découvre les idées sociales de l'Église et s'attache à l'éthique chrétienne dans la vie publique. En 1912, il s'installe à Metz comme avocat. L'annexion germanique le contraint à travailler dans le système juridique allemand tout en gardant une profonde attache à la culture française. Cette dualité le marque durablement et façonne son aspiration à une Europe réconciliée.
En 1919, au retour de l'Alsace-Moselle à la France, il devient citoyen français et se lance dans la vie politique. Il est élu député de la Moselle comme indépendant chrétien-démocrate, siégeant au sein de groupes modérés et conservateurs. Discret, travailleur, attaché à ses terres, il refuse les postures tapageuses. Son attention se porte sur les questions sociales, la reconstruction, la place des confessions dans la République. Dès ses débuts, il milite pour un dialogue entre les peuples européens et défend une ligne pacifique face aux tensions montantes avec l'Allemagne.
L'irruption de la guerre bouleverse sa trajectoire. En 1940, alors qu'il est brièvement sous-secrétaire d'État aux Réfugiés dans le gouvernement Reynaud, il est arrêté par la Gestapo. Transféré à Trêve, il est emprisonné plusieurs mois, puis assigné à résidence. Il parvient à s'échapper en 1942 et se réfugie dans un monastère, participant à des réseaux de résistance intellectuelle et spirituelle, tout en refusant de prendre les armes. Cette période d'épreuves, qu'il vit comme une confirmation de sa foi, le conforte dans l'idée que seule une Europe unie permettra d'éviter de nouvelles tragédies.
Dès la Libération, il reprend un rôle politique actif. En 1945, il est membre de l'Assemblée consultative provisoire, puis ministre des Finances dans le gouvernement De Gaulle. Il participe à l'élaboration de la IVe République, dont il sera brièvement président du Conseil en 1947-1948. Ce mandat est marqué par les défis économiques de l'après-guerre, l'inflation, les grèves et les tensions sociales. Schuman incarne alors un réformisme prudent, fondé sur l'équilibre budgétaire, le dialogue avec les forces sociales, et le maintien d'une politique étrangère défensive dans le contexte naissant de la guerre froide.
Mais c'est comme ministre des Affaires étrangères, de 1948 à 1952, qu'il entre dans l'Histoire. C'est à lui qu'on doit le texte fondateur de la construction européenne : la déclaration du 9 mai 1950, rédigée avec son collaborateur Jean Monnet. Il y propose la mise en commun des productions de charbon et d'acier de la France et de l'Allemagne dans une organisation ouverte aux autres pays d'Europe. L'idée est révolutionnaire : il ne s'agit plus seulement de coopération entre États, mais de solidarité d'intérêts, dans une structure supranationale. Cette initiative, saluée par l'Allemagne, l'Italie, le Bénélux, donne naissance à la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951.
Schuman poursuit son œuvre au sein de l'Union européenne occidentale, puis comme défenseur d'un projet de communauté de défense européenne, qui échouera en 1954 devant l'hostilité de l'Assemblée nationale française. Il reste député jusqu'en 1962, siégeant comme père fondateur, à la fois respecté pour sa droiture et désormais marginal dans la vie politique française, dominée par les débats sur l'Algérie et la Cinquième République.
Homme austère, modeste, Robert Schuman ne s'est jamais marié. Sa vie privée reste discrète, marquée par sa foi catholique profonde et un ascétisme assumé. Il consacre ses derniers années à des activités intellectuelles et spirituelles, publiant plusieurs essais et prônant la réconciliation permanente. Il meurt le 4 septembre 1963 à Scy-Chazelles, en Moselle, dans la maison familiale où il avait installé une chapelle.
Son souvenir s'impose dès lors comme l'une des pierres angulaires de l'Europe communautaire. Le Parlement européen le choisit comme son premier président en 1958. Sa figure inspire le projet européen bien au-delà de la France. Largement reconnu pour son intégrité, sa vision et son humilité, il incarne une forme de politique transcendante, patiente, tissée dans la mémoire des drames passés et tournée vers la paix durable. En 2021, l'Église catholique a reconnu l'héroïcité de ses vertus, le proclamant "vénérable".
La vie de Robert Schuman se lit comme celle d'un homme-ponctuation, à la charnière des mondes. Ni tribunitien, ni technocrate, il est un artisan de l'ombre qui a su comprendre que l'histoire se construit par le dialogue, la mémoire et le respect du temps long. De sa naissance en territoire annexé jusqu'à son testament politique européen, il a incarné une vision sereine et exigeante de la politique comme service.