Né le 30 juin 1755 à Fox-Amphoux dans le Var, Paul Barras appartient à une famille de petite noblesse de robe, modeste mais bien implantée en Provence. On célèbre aujourd'hui son 270ème anniversaire. L’enfance du jeune Paul se déroule dans un monde où le poids de la monarchie semble éternel. Il est envoyé au collège jésuite de Marseille, où il reçoit une formation classique. D’une intelligence vive, il manifeste tôt un goût pour la politique et les affaires humaines. À seize ans, il entre dans l’armée royale et participe à l'expédition de l’Île-de-France et de l’Inde contre les Britanniques. Il y reste jusqu'en 1777, une expérience militaire qui le marque durablement, bien qu’il démissionne rapidement après son retour.
De retour en Provence, il mène une vie de rentier oisif, entre relations mondaines et affaires douteuses. Il est proche des milieux francs-maçons et fréquente les cercles philosophes où les idées nouvelles s’échangent avec l’audace des pré-révolutionnaires. Lorsque la Révolution éclate en 1789, Barras est déjà mûr pour s’engager. Il est désigné administrateur du district de Marseille puis envoyé à Paris. En 1792, il est élu député à la Convention nationale pour le Var, siège où il vote la mort du roi Louis XVI.
Envoyé en mission dans le Midi et en Provence, puis à Toulon, il joue un rôle clé dans la reprise de la ville tenue par les Anglais. C’est à cette occasion qu’il remarque un jeune artilleur corse : Napoléon Bonaparte. Barras, visionnaire ou calculateur, comprend vite le potentiel de ce jeune officier et favorise son ascension. Leur destin se noue alors dans une alliance qui marquera l'histoire de la France.
Lors de la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), Barras est un des principaux acteurs du complot thermidorien. Il contribue à ramener le calme et à mettre fin à la Terreur. Propulsé en première ligne, il devient membre du Comité de salut public, puis participe à l'élaboration de la Constitution de l'an III.
Avec l'établissement du Directoire, en 1795, Paul Barras accède au sommet de l’État : il est élu l'un des cinq directeurs, devenant rapidement le plus influent de tous. Il incarne alors le pouvoir sans titre royal, dans un régime fragile et perpétuellement menacé. Son autorité repose davantage sur ses réseaux et sa maîtrise des équilibres politiques que sur une vision à long terme. Barras gouverne en conciliant les modérés, les anciens jacobins, les opportunistes et les milieux financiers.
En octobre 1795, une insurrection royaliste tente de renverser la Convention. Barras fait appel à Bonaparte pour la réprimer. Ce dernier organise la défense de Paris avec une brutalité efficace. Le 13 vendémiaire (5 octobre), les canons balayent les insurgés. Bonaparte devient le héros du jour. Barras, en stratège, le propulse général en chef de l’armée d’Italie. Le jeune Corse entame alors son irrésistible ascension.
Pendant les années du Directoire, Barras mène une vie fastueuse et dissolue, entachée de scandales, de corruptions et d’intrigues. Son hôtel particulier, où se pressent courtisanes, banquiers et anciens nobles ralliés à la République, devient le symbole d’un pouvoir cynique et décadent. Il entretient une relation notoire avec Joséphine de Beauharnais avant qu’elle ne devienne l’épouse de Bonaparte. Barras joue un temps les entremetteurs, imaginant pouvoir influencer l’ambitieux général grâce à ce lien personnel.
Mais les relations se tendent entre les deux hommes. Barras, méfiant, voit croître la popularité de Bonaparte avec inquiétude. Il tente de freiner son ascension, sans succès. Le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), fomenté par Bonaparte, marque la fin du Directoire. Barras est contraint de démissionner sous la pression, livrant le pouvoir à celui qu’il avait jadis élevé. Ironie de l’histoire, le stratège républicain est écarté par son propre créature, dans un épisode où le génie militaire l’emporte sur les manœuvres politiques.
Déchu, surveillé de près par le régime bonapartiste, Barras vit en retrait, sous surveillance. Il se retire dans sa propriété de Grosbois, où il reconstitue ses souvenirs et rédige ses mémoires, désireux de se présenter comme le garant de la République face aux dérives autoritaires. Mais son image est ternie par les accusations de corruption et son style de vie tapageur. Il tente de réhabiliter sa mémoire sans grand succès, dans une France où l’Empire impose une autre vision de l’héroïsme.
Sous la Restauration, Barras est mis à l'écart, bien qu'il ne soit pas persécuté. Il meurt le 29 janvier 1829 à Paris, dans un oubli presque complet. Aucun hommage officiel, aucune oraison ne vient saluer celui qui fut pourtant l’un des hommes les plus puissants de la France révolutionnaire. Sa tombe au cimetière du Père-Lachaise, modeste, reflète la chute de ce prince sans couronne.
Paul Barras incarne les paradoxes d'une Révolution devenue République, puis Empire. Il est le trait d'union entre la fureur de la Terreur et l'ordre napoléonien, entre la promesse d'une nation nouvelle et les compromissions du pouvoir. Opportuniste pour les uns, réaliste pour d’autres, il eut l'intelligence des circonstances mais non la force d'un destin. Dans le silence de son exil domestique, il aura vu le monde qu'il avait contribuent à forger lui échapper.