Le 22 avril 2016, l’Accord de Paris, issu de la COP21, est signé au siège des Nations unies à New York par plus de 150 chefs d’État ou leurs représentants. Cette date marque l’un des temps forts d’un cycle entamé bien plus tôt, à la croisée de l’histoire industrielle, des alertes scientifiques et des dynamiques diplomatiques. En réalité, cet instant cérémonial cristallise un long processus, à la fois lent et fébrile, par lequel l’humanité tente d’apprivoiser le réchauffement climatique, fruit amer de deux siècles de croissance carbonée.
Depuis le XIXe siècle, les sociétés industrielles bâtissent leur puissance sur la combustion massive du charbon, puis du pétrole et du gaz. Cette matrice énergétique, fondée sur l’abondance fossile, offre des gains de productivité inédits, catalyse l’urbanisation, accélère les échanges commerciaux, mais impose au monde un coût invisible : une concentration croissante de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Si ce phénomène est longtemps ignoré, les premières alarmes résonnent dès le milieu du XXe siècle. En 1957, le chimiste Charles Keeling entame une mesure continue du CO2 atmosphérique au sommet du volcan Mauna Loa, à Hawaï. La courbe qu’il établit, désormais célèbre sous le nom de « courbe de Keeling », révèle une tendance nette à la hausse. Les scientifiques, d’abord isolés, parviennent progressivement à mobiliser la communauté internationale. En 1988, l’Organisation des Nations unies crée le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), marquant la reconnaissance officielle du lien entre activités humaines et dérèglement climatique. Deux ans plus tard, le premier rapport du GIEC établit les bases d’un consensus scientifique en devenir, et propulse le climat sur la scène des préoccupations géopolitiques planétaires.
Les sommets internationaux se succèdent. En 1992, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) est adoptée à Rio de Janeiro. Elle pose les bases d’une coopération globale. En 1997, le protocole de Kyoto instaure les premières obligations chiffrées de réduction d’émissions pour les pays industrialisés. Mais les limites apparaissent vite : les États-Unis, principal émetteur à l’époque, refusent de le ratifier. L’absence d’engagement des pays émergents suscite aussi des tensions. L’idée d’un cadre universel, plus souple mais plus inclusif, commence alors à émerger dans les cercles diplomatiques.
La décennie 2000 est celle des contrastes : d’un côté, une multiplication des signes tangibles du dérèglement climatique ; de l’autre, des négociations lentes, souvent décevantes. Le sommet de Copenhague, en 2009, cristallise ces attentes déçues : aucun accord contraignant n’en sort. Pourtant, cette impasse sert de leçon. Elle pousse les diplomaties à revoir leurs méthodes, à renforcer les liens avec les acteurs non-étatiques – villes, entreprises, ONG – et à miser sur une dynamique d’engagements volontaires, plutôt que sur une architecture rigide.
C’est dans ce contexte que se prépare la COP21, accueillie à Paris en décembre 2015. La France, hôte et présidente de la conférence, engage dès 2014 une intense campagne diplomatique. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sillonne la planète. L’enjeu est double : s’assurer que chaque pays présente une contribution nationale – les fameuses NDCs, pour "nationally determined contributions" – et parvenir à un accord universel, applicable à tous. Le 12 décembre 2015, après deux semaines de négociations, l’accord est adopté par consensus. L’émotion est palpable. Le texte fixe un objectif : maintenir l’élévation moyenne des températures bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et poursuivre les efforts pour la limiter à 1,5 °C.
Le 22 avril 2016, dans la continuité de ce sommet, la cérémonie de signature de l’Accord de Paris se tient au siège des Nations unies à New York, en ce jour symbolique de la Journée de la Terre. Dès l’aube, les préparatifs mobilisent les équipes diplomatiques, protocolaires et techniques de l’ONU. La salle de l’Assemblée générale est méticuleusement agencée pour accueillir plus de 150 chefs d’État, de gouvernement ou leurs émissaires, ainsi que des représentants de la société civile, des ONG et des institutions internationales. À l’extérieur, des manifestations de soutien, notamment portées par des associations environnementales et des jeunes militants venus du monde entier, donnent à la journée un souffle populaire.
La cérémonie s’ouvre dans une solennité rare. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, prononce un discours vibrant, saluant l’unité inédite de la communauté internationale face à l’un des plus grands périls du siècle. L’acteur Leonardo DiCaprio, ambassadeur de bonne volonté pour le climat, prend aussi la parole, incarnant la mobilisation des artistes et du monde culturel. Le moment culminant intervient lorsque les délégations défilent une à une pour apposer leur signature. Le Maroc, qui accueillera la prochaine COP, est symboliquement le premier signataire. S’ensuivent les grandes puissances, dont la Chine et les États-Unis, puis les États insulaires menacés par la montée des eaux, dont les représentants, émus, rappellent l’urgence vitale d’agir.
Jamais un traité international n’avait été signé en un seul jour par autant d’États : 175 signatures au total, un record historique. Au-delà de la démonstration de force diplomatique, l’événement illustre une prise de conscience partagée. Chaque prise de parole, brève mais dense, traduit les espoirs, les inquiétudes et la volonté d’avancer malgré les divergences. Ban Ki-moon résume l’esprit de la journée par ces mots : "Aujourd’hui, vous faites l’histoire."
Mais la signature, si spectaculaire soit-elle, n’est qu’une étape. Pour que l’accord entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins 55 pays représentant 55 % des émissions mondiales. La dynamique enclenchée ce 22 avril est telle que cette condition est remplie dès le mois d’octobre suivant, notamment grâce à la ratification conjointe de la Chine et des États-Unis, qui à eux seuls pèsent plus de 35 % des émissions planétaires. Ce succès rapide donne à l’accord une légitimité renforcée et prépare le terrain pour son application effective dès novembre 2016.
L’Accord de Paris ne repose pas sur des sanctions, mais sur un mécanisme de transparence et de révision périodique des engagements. Tous les cinq ans, les pays doivent actualiser leurs contributions, avec l’objectif de les rendre progressivement plus ambitieuses. Cette approche incitative tranche avec les traités classiques. Elle parie sur la pression des pairs, la mobilisation de la société civile, et la dynamique d’émulation. Le rôle des sciences du climat y est aussi central : les rapports du GIEC alimentent le processus, guidant les décisions politiques.
Mais les défis sont immenses. Dès 2017, le président américain Donald Trump annonce, depuis la Maison-Blanche, le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, justifiant sa décision par la volonté de défendre l’économie américaine face à ce qu’il décrit comme un accord "désavantageux". Ce geste provoque une onde de choc sur la scène internationale. Première puissance économique mondiale, deuxième émetteur de gaz à effet de serre, les États-Unis incarnent une pièce maîtresse du dispositif climatique global. Leur retrait affaiblit symboliquement l’accord, d’autant plus qu’il donne un signal négatif à d’autres pays hésitants.
Pourtant, cette décision ne fait pas l’unanimité au sein même des États-Unis. Plusieurs gouverneurs, maires de grandes villes comme New York, Los Angeles ou San Francisco, ainsi que des entreprises de premier plan, annoncent qu’ils poursuivront les objectifs de l’Accord de Paris malgré le retrait fédéral. Le slogan "We Are Still In" devient le mot d’ordre d’une contre-offensive climatique à l’échelle infranationale. En 2019, des coalitions de villes, d’universités et d’États forment l’alliance "America’s Pledge", visant à compenser la sortie fédérale par des actions locales coordonnées.
Le retrait, officiellement effectif le 4 novembre 2020, devient un enjeu électoral majeur. Dès son investiture, le 20 janvier 2021, le président Joe Biden signe le décret réintégrant les États-Unis dans l’Accord de Paris, réaffirmant le rôle moteur du pays dans la lutte climatique.
Les années suivantes sont marquées par une aggravation des crises climatiques : incendies géants, sécheresses, inondations, records de chaleur. L’écart entre les trajectoires d’émissions et les objectifs de l’Accord de Paris se creuse. En 2021, à la COP26 de Glasgow, de nouveaux engagements sont pris, mais les experts s’accordent sur le fait qu’ils restent insuffisants. Le réchauffement projeté dépasse toujours les 2,4 °C en l’état actuel des politiques. Le temps joue contre l’accord : chaque dixième de degré compte, chaque année sans réduction forte rend l’objectif plus lointain.
Pourtant, l’Accord de Paris demeure un jalon. Il a instauré un langage commun, une architecture minimale de coopération, un horizon partagé. Il a aussi catalysé de nombreuses dynamiques parallèles : désinvestissement des énergies fossiles, essor des énergies renouvelables, pression croissante des tribunaux sur les États et les entreprises. Il a transformé le climat en enjeu structurant des relations internationales, des politiques économiques, et des mouvements sociaux.
En janvier 2025, le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis vient une nouvelle fois ébranler cet équilibre fragile. Sans prononcer un retrait formel de l’accord, il en neutralise les effets en suspendant à nouveau les financements climatiques internationaux, en assouplissant les régulations sur les énergies fossiles, et en retirant les États-Unis de plusieurs coalitions multilatérales en matière environnementale. Cette inflexion affaiblit les mécanismes collectifs, mais ne les brise pas. Car la promesse de Paris, celle d’un monde réconcilié avec ses limites planétaires, continue d’inspirer gouvernements, sociétés civiles et acteurs économiques. Mais entre la promesse et sa réalisation, le chemin demeure escarpé, semé d’obstacles politiques, économiques et sociaux que seule une mobilisation continue pourra espérer surmonter.