Aujourd'hui 7 mars 2025 marque le 110ème anniversaire de la naissance de Jacques Chaban-Delmas. Homme d'État français, résistant, militaire et figure emblématique de la droite modérée, il a marqué l'histoire politique de la France du XXe siècle.
Né le 7 mars 1915 à Paris sous le nom de Jacques Delmas, il grandit dans un milieu modeste. Son père, employé de bureau, et sa mère, femme au foyer, lui inculquèrent des valeurs de discipline et de mérite. Passionné par les études, il montra très tôt un goût pour la lecture et le sport, notamment le rugby, qu'il pratiqua avec assiduité. Élève brillant, il intégra le lycée Lakanal à Sceaux, où il se distingua par ses aptitudes en lettres et en sciences politiques. Son tempérament énergique et son goût pour le dépassement de soi le conduisirent à cultiver une ambition précoce pour la fonction publique et le service de l'État. Diplômé de l'École libre des sciences politiques, il intégra l'administration comme inspecteur des finances, mais son destin fut rapidement bouleversé par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Lors de l'invasion allemande en 1940, Jacques Delmas refusa la défaite et rejoignit la Résistance sous le pseudonyme de "Chaban", un nom qu'il conserva par la suite dans sa carrière politique. D'abord agent de liaison, il joua un rôle crucial dans la transmission d’informations stratégiques entre différents groupes de résistants et les forces alliées. Son intelligence, son audace et son habileté à contourner la surveillance allemande lui permirent de gravir rapidement les échelons de l'organisation clandestine. En parallèle, il tissa un réseau de contacts influents au sein de la Résistance, s'entourant d'hommes et de femmes déterminés à libérer la France.
En 1943, il devint l'un des principaux organisateurs des réseaux de la Résistance intérieure. Son engagement le mena à être nommé délégué militaire national des Forces françaises de l’Intérieur (FFI), où il fut chargé d’unifier les différentes branches armées de la Résistance sous un commandement coordonné. À ce titre, il planifia de nombreuses opérations de sabotage visant les infrastructures stratégiques de l'occupant, telles que les voies ferrées, les centres de communication et les dépôts d’armement. Son rôle fut essentiel dans la préparation de l'insurrection de Paris en août 1944 : il organisa la mise en place des barricades, assura la coordination entre les groupes de maquisards et facilita les échanges avec les forces alliées approchant de la capitale. Lorsque la bataille pour la libération de Paris s’intensifia, il fit preuve d’un leadership déterminant, incitant les combattants à poursuivre le combat malgré les représailles ennemies. Son engagement et son audace lui valurent d'être fait compagnon de la Libération par le général de Gaulle, reconnaissant ainsi son rôle clé dans la victoire de la Résistance.
Après la guerre, Jacques Chaban-Delmas embrassa une carrière politique marquée par une longévité exceptionnelle. Député de la Gironde dès 1946, il devint une figure incontournable du paysage politique français. Son engagement pour sa circonscription et sa proximité avec les citoyens lui valurent une fidélité électorale impressionnante. Homme de terrain, il multiplia les initiatives pour développer son département et renforcer l'attractivité économique de la région.
Maire de Bordeaux de 1947 à 1995, il transforma profondément la ville, modernisant ses infrastructures et revitalisant son centre historique. Sous son impulsion, Bordeaux connut un essor urbain notable avec la création de nouveaux quartiers, l'amélioration du réseau de transports et l’embellissement des quais de la Garonne. Il œuvra également à renforcer l'enseignement supérieur et la recherche, contribuant ainsi au rayonnement de la ville sur le plan national et international. Son dynamisme et sa vision firent de lui un maire apprécié et respecté, malgré les tensions politiques inhérentes à une aussi longue gestion municipale.
Parallèlement à son mandat municipal, il occupa également le poste de ministre à plusieurs reprises sous la IVe et la Ve République. Il fut notamment ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme en 1954-1955, puis ministre de la Défense nationale en 1957-1958, période durant laquelle il s’attela à la modernisation des forces armées françaises en pleine guerre d'Algérie. Sous la Ve République, il continua d’exercer une influence considérable au sein des gouvernements successifs, s’impliquant notamment dans des réformes économiques et sociales.
Son ascension atteint un sommet lorsqu'il devint Premier ministre de Georges Pompidou entre 1969 et 1972. Dès son arrivée à Matignon, il déclara avec ambition : "La France est riche de son passé, mais elle ne doit pas être prisonnière de ses structures". Son mandat fut marqué par une volonté de modernisation et de réformes profondes regroupées sous le concept de "Nouvelle Société". Il souhaitait répondre aux aspirations de la jeunesse post-Mai 68 en instaurant un dialogue social renforcé et en réformant les institutions pour les adapter aux évolutions de la société française.
Son programme mettait l’accent sur la participation des salariés aux décisions de l’entreprise, une avancée inspirée des modèles scandinaves, visant à démocratiser le monde du travail. Il engagea également des réformes dans le domaine de l’éducation, avec un renforcement de l'enseignement technologique et une ouverture accrue vers le monde de l'entreprise. Dans le domaine fiscal et économique, il défendit une redistribution plus équilibrée des richesses, tout en encourageant l'innovation et la compétitivité industrielle.
Cependant, son projet se heurta rapidement à de vives résistances. Une partie de la majorité gaulliste voyait en lui une menace pour l’héritage conservateur du général de Gaulle, tandis que les milieux économiques redoutaient ses ambitions sociales. Sa position fut également affaiblie par des tensions avec Georges Pompidou, qui voyait d’un mauvais œil cette modernisation jugée trop audacieuse. Face à ces oppositions croissantes, il fut contraint de quitter Matignon en 1972, laissant derrière lui un projet inachevé mais qui marquera durablement les réflexions sur l’évolution du modèle social français.
En 1974, il se présenta à l'élection présidentielle avec le slogan "Chaban, le cœur et la raison", mettant en avant son engagement pour une France moderne et sociale. Soutenu par une partie des gaullistes, il tenta de se positionner comme le candidat de la réconciliation et du renouveau. Durant la campagne, il lança un appel à une réforme profonde de la société française, déclarant : "Il faut donner à notre pays un nouvel élan, une ambition renouvelée, car nous ne gouvernons pas seulement pour aujourd'hui, mais pour demain." Cependant, il peina à rassembler une large base électorale et à imposer son programme face à la montée en puissance de Giscard d’Estaing et du candidat socialiste François Mitterrand. Lors du premier tour, il obtint 15,11 % des voix, terminant en troisième position derrière ses deux principaux adversaires.
Malgré cet échec, il continua à jouer un rôle majeur à l'Assemblée nationale, dont il fut président à trois reprises (1958-1969, 1978-1981, 1986-1988). Figure centrale du parlementarisme français, il sut imposer son autorité tout en défendant une vision équilibrée du pouvoir législatif. Sa présidence fut marquée par sa capacité à arbitrer des débats houleux et à défendre les prérogatives du Parlement face à l'exécutif. Il aimait rappeler que "la démocratie, c'est la confrontation des idées, mais aussi le respect des institutions". Son engagement en faveur du dialogue parlementaire et de la réforme du fonctionnement de l'Assemblée lui valut le respect de ses pairs, y compris de ses adversaires politiques.
Homme de convictions, proche du gaullisme tout en prônant un certain libéralisme social, Jacques Chaban-Delmas est resté une figure respectée jusqu'à sa mort, le 10 novembre 2000 à l'âge de 85 ans. Il s'éteint à son domicile parisien des suites d'une crise cardiaque, laissant derrière lui une vie marquée par l'engagement et le service de l'État. Son décès suscita une vive émotion dans la classe politique et au sein des Bordelais, qui lui rendirent un dernier hommage lors de ses funérailles en la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Il laisse l'image d'un homme d'État soucieux du bien commun, d'un réformateur parfois incompris, mais dont la vision d'une "Nouvelle Société" résonne encore dans le débat public.